Avec « Histoire d’un Cid », Jean Bellorini joue à jouer Corneille

Chaque été, le château de Grignan qui surplombe le village drômois devient le théâtre d’un événement aussi exigeant que populaire et qui attire les spectateurs par centaines, au cours d’une quarantaine de soirées estivales. Cette année, c’est le directeur du TNP, Jean Bellorini, qui est aux commandes du spectacle proposé dans le cadre de ces Fêtes Nocturnes 2024. Il y propose une réécriture du Cid de Corneille dans une création qui n’a pas fini de tourner sur les scènes du territoire.

Peter Avondo
Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture Créé aux Fêtes Nocturnes - Grignan
6 mn de lecture

Devant sa majestueuse façade où ont été montés les gradins qui accueilleront tout l’été ses Fêtes Nocturnes, le château de Grignan a tout d’un immense terrain de jeux pour enfants. Y traînent d’ailleurs encore quelques jouets (la maquette d’un bateau, un cheval de bois…) comme laissés là, sans jamais avoir été rangés, autour de ce qu’il reste d’un château gonflable entièrement évidé de son air. Comme se retrouvant un soir de vacances estivales, Rodrigue et Chimène sont venus dans ce cadre jouer aux amoureux, aidés par les réminiscences d’un texte bien lointain qui, par le miracle de la transmission, est parvenu jusqu’à eux. Accompagnés de L’Infante de Castille et de sa gouvernante Léonor, Rodrigue et Chimène ne vivent plus tout à fait la pièce de Corneille, ils sont venus la raconter, se la raconter, cette Histoire d’un Cid

À l’instar de ses personnages, Jean Bellorini semble s’être alimenté des années durant, et pas toujours consciemment, des vers de Corneille. Il ne s’en cache pas, les extraits qui s’entonnent à l’unisson comme des tubes de variétés sont légion dans Le Cid, alors autant les considérer comme tels ! Dans sa réécriture, le directeur du TNP ne s’excuse pas de proposer un théâtre populaire, il lui donne au contraire tout son sens. Sans transiger sur la rythmique des alexandrins – dont la diction semble s’appuyer un peu plus à mesure que se déroule la pièce –, il leur apporte en miroir un texte plus contemporain de sa plume, creusant délicatement dans le divertissement pour lier l’exigence à l’accessibilité de son art.

© Jacques Grison

Dans son propos comme dans la forme qu’elle prend, cette Histoire d’un Cid est une affaire d’oppositions. La scénographie ludique répond au classicisme du château, la prose de Bellorini équilibre les vers de Corneille, la dérision se juxtapose à l’attendue tragédie… Ainsi cette création répond-elle, en tant qu’objet, à ce qu’elle développe en sous-texte : la réaction d’une génération d’enfants à qui l’on voudrait imposer l’héritage des parents. “Que de maux et de pleurs nous coûteront nos pères”, fait répéter le metteur en scène à ses personnages pour appuyer, s’il en était besoin, le parti pris d’une approche résolument moderne qui finit par s’extraire de la cellule familiale. Ce n’est sans doute pas pour rien, si les lustres d’apparat et les statues de religions auxquelles on ne croit plus ont été décrochés.

Partant de l’héritage transmis d’une génération à l’autre, Jean Bellorini soulève aussi derrière son Histoire d’un Cid un questionnement plus vaste autour de l’héritage culturel commun. Outre les « punchlines » de Corneille entrées depuis des siècles dans le langage courant, le metteur en scène cumule – avec une parcimonie qui lui fait honneur – les outils et médias qui lui permettent de créer un solide lien de son œuvre à son public. De cette manière, il parvient à jouer sur des registres, des temporalités et des références multiples qui font pourtant ressortir une évidence : ici, en cet instant, le spectacle vivant rassemble et fédère autour d’un objet commun. Ici, en cet instant, le théâtre est politique parce qu’il est populaire.

Mission réussie pour Jean Bellorini avec cette Histoire d’un Cid qui se confrontera à la rentrée à un large retour en salles, lequel devrait tout aussi bien trouver son écho. La troupe réunie par le directeur du TNP n’aura en tout cas aucun mal à emporter, dans son talent, toute l’essence d’une pièce qui brille, dès la première, par son dynamisme, sa générosité et sa pertinence.


Histoire d’un Cid
Création 2024 – Fêtes Nocturnes Grignan avec le TNP

Crédits

d’après Le Cid de Pierre Corneille / mise en scène Jean Bellorini / avec Cindy Almeida de Brito, François Deblock, Karyll Elgrichi, Clément Griffault (claviers), Benoit Prisset (percussions), Federico Vanni / collaboration artistique Mélodie-Amy Wallet / scénographie Véronique Chazal / lumière Jean Bellorini / assisté de Mathilde Foltier-Gueydan / son Léo Rossi-Roth / composition musicale Clément Griffault et Benoit Prisset / costumes Macha Makeïeff assistée de Laura garnier / vidéo Marie Anglade / construction des décors et confection des costumes les ateliers du TNP

Dates
  • du 27 juin au 24 août 2024 Fêtes Nocturnes 2024 du château de Grignan
  • du 27 novembre au 20 décembre 2024 Théâtre National Populaire
  • les 19 et 20 février 2025, La Coursive, scène nationale de La Rochelle
  • les 27 et 28 février 2025, Le Bateau Feu, scène nationale de Dunkerque
  • du 5 au 7 mars 2025, Comédie de Reims
  • les 13 et 14 mars 2025, La Faïencerie, Creil
  • les 3 et 4 avril 2025, Théâtre de Nîmes
  • le 11 avril 2025, Théâtre Louis Aragon, Tremblay-en-France
  • le 6 mai 2025, Théâtre de Privas
  • du 15 mai au 15 juin 2025, Théâtre Nanterre-Amandiers
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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse. 06 22 65 94 17 / peter.avondo@snobinart.fr
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