Si l’on se fie à la description qu’en fait l’UNESCO dans son répertoire du patrimoine immatériel culturel, le flamenco se situe à la rencontre de trois disciplines : la danse, la musique et le chant. Ces éléments n’échappent pas à Olga Pericet, artiste reconnue et récompensée dans sa pratique artistique, qui offre avec La Materia un véritable retour aux sources, à l’essentiel de cet art venu d’Espagne, au gré d’un hommage rendu au guitariste et luthier du XIXe siècle Antonio de Torres, dans un parcours de La Leona à La Invencible, deux instruments de sa conception qui ont marqué l’histoire du flamenco.
C’est donc de la matière (La Materia) que part toute la construction de ce spectacle. Et loin de ne s’en tenir qu’à celle de la guitare, dont la forme se multiplie pourtant au plateau sous tous ses aspects – complets, concrets ou symboliques –, Olga Pericet prend le prétexte de cet hommage pour revenir à l’essence même des matériaux qui composent l’âme du flamenco. Ainsi elle prend le temps de construire, en crescendo et en laissant à chacune la place de s’imposer, chacune des facettes de son art, à commencer par le corps.
D’abord seule au plateau, sous une lumière qui porte par ailleurs l’ensemble du spectacle avec beaucoup de pertinence et une esthétique léchée, Olga Pericet compose sa danse en décomposant chacun de ses gestes. Comme pour créer un recueil des mouvements isolés qui constituent sa discipline, elle semble chercher, tâtonner, puis trouver ce qui peu à peu se transformera en une expression affirmée, aboutie de son art. Sous ses talons qui claquent toujours plus fort et plus vite, le bois dont sont faites les guitares résonne. La matière du son prend alors forme à son tour, ici les cordes grattées, là les percussions qui viennent s’ajouter au tableau qui se dessine. Ne manquent bientôt plus que les voix qui s’élèvent au-dessus de la musique pour dresser un portrait complet du flamenco. Si Olga Pericet n’intègre pas de chanteur à son spectacle, elle ne délaisse pas l’expression vocale si caractéristique du flamenco pour autant. Elle lui voue même tout un extrait d’une haute intensité, proche d’une transe qui se transmet jusque dans le public.
Jonglant au fil de La Materia avec les symboles emblématiques – costumes, instruments, sonorités, postures – du flamenco, Olga Pericet offre avec générosité une introduction, comme une initiation, à ce qui constitue son art. Loin d’une approche opaque et inaccessible, comme le sont bien souvent les disciplines de spécialités, elle joue ici la carte de la familiarisation étape par étape, menant artistes et spectateurs vers une communion autour du flamenco et de la figure, persistante en filigrane, d’Antonio de Torres.