Les images ont marqué toutes les rétines. En 2015, le corps d’un enfant de trois ans était retrouvé échoué sur une plage de Turquie. D’origine syrienne, le jeune Aylan Kurdi devenait malgré lui le sinistre symbole d’un monde qui ne pouvait plus fermer les yeux sur les conséquences des innombrables flux migratoires qui marquent son quotidien. Ces images, Phia Ménard en convoque le souvenir en filigrane. En prélude à son spectacle intitulé ART.13, alors que le rideau est encore fermé, le nom d’Aylan Kurdi, ses dates de naissance et de mort ainsi que le lieu de son décès, le font exister seul face à une salle pleine bien loin de ces considérations.
Des images, voilà pourtant ce qui nous hante le plus dans une époque qui en consomme déjà plus que nécessaire. L’écriteau au nom d’Aylan à peine emporté comme on accompagne un cercueil, le plateau se dévoile dans un tout autre registre. Avec un sens indéniable de l’esthétique, Phia Ménard pose un tableau bucolique, embarquant le public dans un jardin à l’herbe verdoyante, aux haies bien taillées, aux allées géométriques, où trône une statue dont la légende est sans appel : “ART.XIII” s’y grave au laser rouge. Cet article, c’est celui de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, censé assurer la liberté de circulation des êtres humains sur cette planète qui nous est commune. Hasard ou non, c’est aussi celui qui, dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, garantit la liberté des arts et des sciences.
Toujours est-il que, pour Phia Ménard, cet article 13 d’où qu’il vienne a été posé là, ancré à son socle, immobile, aussi décoratif qu’inutile. Car quiconque s’y trouve réellement confronté ne peut que le constater : cette statue métaphorique est au mieux un obstacle, au pire une apparence illusoire. Au plateau, Marion Blondeau se fait limace ou escargot, nuisible en somme, butant contre cet édifice qui lui barre la route. Plongée dans cette fable, rien ne lui semble pourtant impossible. Ainsi brouille-t-elle les frontières physiques – balayant de ses pieds les allées de gravier dont les formes s’effacent –, avant de s’attaquer à la statue-symbole, la déboulonnant à la hache pour lui redonner des ailes.
Il y a incontestablement de la poésie dans cet ART.13, qui développe néanmoins une forme d’allégorie à l’écriture parfois peu subtile, à grands renforts d’effets visuels qui parviennent à attirer ponctuellement l’attention dans un rythme qui a tendance à s’étirer. Pour autant, Phia Ménard conçoit une pièce qui mise l’essentiel – et le plus convaincant – sur l’esthétique. De cette manière, elle vient combattre l’image par l’image, ce qu’elle réussit haut la main à mesure que les tableaux, bien qu’attendus pour certains, prennent forme. Laissant libre cours à sa fable, la metteuse en scène refuse – ou oublie – de lui donner une morale, ouvrant aux multiples interprétations qui peuvent en découler. Cet article 13 est-il à défendre ou à dénoncer ? Phia Ménard semble ne se satisfaire d’aucune de ces deux options.