« After show », L’Avantage du doute contre l’absurdité du monde

Ce n’est pas parce que le monde court à sa perte en nous entraînant avec lui, que c’est le moment de baisser les bras et de se laisser happer par cette société morbide. Avec After show, le collectif L’Avantage du doute prend justement le contre-pied de cette fatalité, cherchant dans le théâtre une sorte de palliatif, à défaut de solution. Car il est moins question ici de chercher à résoudre ce monde qui nous est commun, que de convoquer ensemble une forme d’art qui nous permettrait de l’affronter. Dissimulant derrière leur désinvolture une dramaturgie qui révèle sa profondeur au fil de la représentation, les interprètes livrent une création aussi drôle que touchante, qui ne perd jamais de vue sa théâtralité.

Il fallait pourtant en déployer, des efforts, pour transformer l’humour potache des premiers instants en un développement sensé. À travers leur écriture issue du plateau, les membres du collectif s’adonnent à un jeu d’équilibristes pour provoquer la rencontre entre les figures solennelles qu’ils invoquent et une approche qui tend à dédramatiser toutes les situations. Ainsi parviennent-ils, par-delà les rires et les rares flottements de l’improvisation, à faire entendre les mots et les philosophies de Kafka, d’Hannah Arendt ou du sociologue Bruno Latour, chacun illustrant de ses pensées la réflexion globale tendant à constater l’inébranlable absurdité du monde. Dans sa construction, After show ne lésine d’ailleurs pas sur le fantasque, y plongeant même avec délectation comme pour soigner le mal par le mal.

Après tout, quelles armes peuvent bien nous rester lorsque la Mort elle-même semble sur le point d’abandonner devant le ridicule dont se couvre l’espèce humaine ? Feignant de ne pas se prendre au sérieux, L’Avantage du doute tisse pourtant sa pièce avec une certaine rigueur, allant chercher un point de friction entre les récits personnels de chacun d’entre eux et les thématiques ancestrales du théâtre. De postiche en perruque, les artistes au plateau baladent alors les spectateurs de l’amour à la mort, de la philosophie à la politique, dans une approche qui préférera toujours laisser vaincre la poésie du moment face à l’austérité.

Pour autant, After show ne renonce pas à un théâtre du cœur, imposant sans mal quelques scènes particulièrement sensibles. Contrebalançant de la sorte une création essentiellement axée sur la joie et l’insouciance, L’Avantage du doute finit surtout par proposer une pièce qui met en lumière le plaisir retrouvé à être et à faire ensemble. Sous les apparences et les effets de style, le collectif travaille à une expérience qui tient de l’humain. Dans cette démarche, si les lumières, la scénographie ou les costumes n’ont rien d’hasardeux, ils servent essentiellement de prétexte à la mise en place d’un terrain de jeu partagé entre les artistes et le public. Ici, la prestation collective marque par sa générosité et sa sincérité, au cours d’une représentation qui a effectivement le mérite de faire passer la marche du monde au second plan.

After show
Création 2024 – Théâtre Joliette Marseille