Affaire de l’État contre le Théâtre : le procès est ouvert

Pour cette saison, Nathalie Garraud et Olivier Saccomano, directeurs du Théâtre des 13 vents à Montpellier, ont choisi de reprendre l'une de leurs précédentes créations, La Beauté du geste. À ceux qui ne l'auraient pas encore découverte, elle sera jouée jusqu'au vendredi 8 avril.

Peter Avondo
Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
5 mn de lecture

Voilà du théâtre qui nous plaît, parce qu’il donne à réfléchir sur lui-même sans pour autant s’imposer comme vérité absolue. À titre personnel, je commencerai par dire qu’il est particulièrement jouissif de voir dans cette pièce des thématiques évocatrices de mes premiers pas dans le spectacle vivant. Ici, le débat des terminologies entre l’acteur et le comédien. Là, une différenciation entre une vérité et la vérité. Et puis le jeu de la scène poussé vers ses limites, jusqu’à estomper sans jamais l’effacer une distance tacite convenue entre le public et les personnages. De fil en aiguille se tisse sur ce plateau un réseau d’idées, de concepts et de réflexions qui amène le théâtre dans ce qu’il sait faire de mieux : interroger le monde en s’en faisant le miroir.

Déjà dans Un Hamlet de moins, que nous avions découvert avec un certain anachronisme avant La Beauté du geste, le public avait une position essentielle à la pièce. Ici, c’est un rôle à part entière qui a été attribué aux spectateurs, celui de prévenu dans un tribunal improvisé. Au cours d’un procès qui accuse le théâtre d’être ce qu’il est, des personnages aux stéréotypes assumés offrent leur propre regard sur un art que l’on montre du doigt. À travers eux, c’est toute une définition du théâtre qui se dessine, dans toute sa complexité, toutes ses contradictions, toute sa nécessité.

Voilà pour l’essence de La Beauté du geste, voilà pour ce que la pièce laisse comme pleine sensation au sortir des 13 vents. Mais pour en arriver là, le chemin n’aura pas été droit et clair. Il aura fallu passer les étapes, franchir les barricades, affronter l’adversité. Repoussant à son extrême le principe de la mise en abîme, les comédiens finissent par jouer pièce sur pièce. À tel point, il faut bien l’avouer, qu’on en vient au cours de la première partie à se demander où tout cela va nous mener.

Car pendant un long moment, les comédiens jouent des CRS. Ces gardiens de la paix sont représentés non pas comme des symboles de force mais comme des hommes et des femmes exerçant simplement leur métier. Leurs échanges, comme des conversations de bureau, finissent par semer le doute sur leurs intentions, leurs vocations, jusqu’à leur utilité. La gestuelle est belle, chorégraphiée à la quasi précision dans un rythme volontairement militaire qui rend le tout très lisible. Les paroles sont rares, concrètes et sans fioriture. Mais on peine à voir l’horizon auquel on nous destine.

Et puis, comme un tableau que l’on découvrirait par ses détails avant d’en apprécier la globalité, on finit par comprendre la nécessité de cette pièce dans la pièce. Puisqu’un procès doit se tenir, les deux parties qui s’affrontent se doivent d’être représentées. Alors l’État, par le symbole de la police et de la justice, a pu tenir son plaidoyer quand, sans le savoir, le public a joué dès les premiers instants son rôle d’antagoniste. Une nouvelle séance peut finalement s’ouvrir. Affaire de l’État contre le Théâtre : le procès est ouvert.

Difficile d’imaginer que cette pièce a vu le jour avant la crise sanitaire, tant elle met en lumière des situations exacerbées par les événements de ces dernières années. Ce qui nous amène d’ailleurs à réévaluer notre rapport au théâtre, puisque cela signifie aussi que les problématiques soulevées dans La Beauté du geste sont profondément et durablement liées au spectacle vivant. Ce n’est pas une découverte, admettons-le, mais il reste rare de le voir ainsi exposé sur une scène avec autant de justesse.

Nous aimerions pouvoir parler plus en détails de ce que dit la pièce, de ce qu’elle montre et de ce qu’elle raconte, mais il faudrait pour cela s’attarder sur des extraits qui, défaits de leur ensemble, n’auraient que peu de sens. C’est d’ailleurs l’un des traits caractéristiques du duo Garraud – Saccomano, qui prend un malin plaisir à poser un élément après l’autre – avec l’autre – avant de dévoiler l’intégralité du puzzle. Pour nous, la technique fonctionne.

TEXTE
OLIVIER SACCOMANO
MISE EN SCENE
NATHALIE GARRAUD
AVEC
MITSOU DOUDEAU, CEDRIC MICHEL, FLORIAN ONNEIN, CONCHITA PAZ, CHARLY TOTTERWITZ
SCENOGRAPHIE
JEFF GARRAUD
COSTUMES
SARAH LETERRIER
LUMIERES
SARAH MARCOTTE
SON
SERGE MONSEGU
ASSISTANAT A LA MISE EN SCENE
ROMANE GUILLAUME

Partager cet article
Avatar photo
Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
Suivre :
Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse. 06 22 65 94 17 / peter.avondo@snobinart.fr
Laisser un commentaire

Abonnez-vous au magazine Snobinart !