La sublime salle du Théâtre Molière à Sète n’a rien perdu de sa superbe. Malgré une longue interruption due à la crise, l’heure n’était pas à la complainte hier, mais à la joie de se retrouver enfin. Quand une salve d’applaudissements accueille avec frénésie le message enregistré qui annonce « Nous sommes heureux de vous retrouver enfin au théâtre« , on se dit que le spectacle est bel et bien vivant.
Et sur scène, alors ? Sur scène, c’est une tragédie grecque qui se joue. Celle d’Électre et Oreste, en quête de vengeance après le meurtre de leur père Agamemnon. Mais sans aller jusqu’à nier le talent d’Eschyle, la version de Simon Abkarian a quelque chose de profondément contemporain. Par l’écriture comme par la mise-en-scène, l’histoire est portée avec une énergie folle, faisant de ce pari une réussite. En témoigne le public qui, à l’issue de la représentation, s’est levé comme un seul homme pour saluer le travail de la troupe.
Récompensée par 3 fois aux Molières 2020, la création a déjà parcouru la France avec le même entrain et le même accueil. Pourtant, quel toupet de présenter à notre époque une tragédie de 2h22, sans entracte, tout en maintenant un intérêt non feint de la part des spectateurs ! Mais les répliques sont justes, le vocabulaire acéré, le rythme maîtrisé, et les artistes investis.
La vengeance a beau être le fil rouge de la narration, ce n’est pas elle qui tient le premier rôle. Dans Électre des bas-fonds, on interroge la femme, on questionne l’humain. Quand Électre se réfugie dans un lupanar, où les prostituées se créent une histoire commune, Oreste, son frère, voyage travesti pour accomplir son dessein. Et c’est sans doute là le coup de maître de Simon Abkarian. Pour une fois, le mythe est vu depuis les tréfonds de la ville, par les yeux des laissé·e·s pour compte. Exit la vengeance et la justice administrées par les hommes.
Ajoutez à cela le chœur, élément essentiel de la tragédie grecque, qui occupe une place prépondérante, et dont les costumes rappellent tantôt les geishas japonaises, tantôt la Fête des Morts au Mexique. C’est un véritable voyage que propose la Compagnie des 5 roues, dans une traversée déroutante et étonnamment cohérente. Complétée par la musique très rock, jouée en direct par le Trio des Hawlin’jaws, qui accompagne les mots et les chants des personnages, la pièce est sans conteste une réussite à tous les niveaux.
Électre des bas-fonds sera jouée une dernière fois ce soir, à 20h, au Théâtre Molière de Sète.
Une merveille de travail à partir de l’Orestie d’Escyle… Bacchanal et digne, drôle et profond, léger et musical, nouveau et comme éternel. Un texte puissant, audacieux proche du poème, du song, immédiat et vivant. Une troupe d’un talent fou. C’est si rare de voir plus de vingt acteurs sur scène ! Oui enfin un moment de réel partage artistique ! Ils sont si rares dans ce trop plein d’événements souvent si décevants… Merci à cette Électre si essentielle !
« Comment cela s’appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd’hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l’air pourtant se respire, et qu’on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s’entre-tuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?
– Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s’appelle l’aurore. » Electre Jean Giraudoux.