On prend deux secondes et on respire. On respire parce que la nouvelle saison arrive et qu’il va précisément falloir s’habituer à prendre son temps, à aller à la rencontre des artistes et des spectateurs, à consommer la culture – que le mot est laid ! – d’une autre manière. Après les effusions d’émotions de toutes sortes dans les festivals, après les programmations pleines à craquer de l’ère post-covid, après l’appétit insatiable pour ce dont nous avons longtemps été privés, il est temps à nouveau de réapprendre à se cultiver… par la force des choses, mais sûrement pas pour le pire !
On nous avait prévenus, l’accumulation des crises renforcée par la guerre qui se poursuit en Ukraine allait nous coûter cher. Et comme toujours, le secteur de la culture fait partie des premières victimes de ce contexte global. Depuis près d’un an, tous les signaux d’alerte sont au rouge, notamment en raison de l’augmentation en flèche des prix de l’énergie, qui pèse considérablement sur le budget de nos établissements culturels. Mais quand la menace vient de l’extérieur, encore faut-il pouvoir compter sur notre bon sens interne…
Alors comment réagir aux efforts que les artistes, techniciens et administrateurs consentent jour après jour, quand face à eux les portes se claquent les unes après les autres ? Décaler les événements estivaux de 2024 en raison du besoin de sécurité dans le cadre de l’organisation des Jeux Olympiques, passe encore. Réduire la consommation énergétique et proposer une programmation raisonnable sans pour autant se prendre les pieds dans le tapis, soit. Mais devoir se battre pour des acquis que l’on nous retire à des fins politiques – comme ce à quoi ont été confrontés plusieurs lieux de création et de diffusion en région Auvergne-Rhône-Alpes –, ou céder à l’abandon de la réflexion artistique au profit d’une pseudo-accessibilité de la culture qui fait la part belle au divertissement abêtissant au lieu de prendre la problématique à bras-le-corps avec une exigence qui constitue notre exception culturelle, voilà qui nous fait amèrement grincer des dents.
Les uns après les autres, les lieux de spectacle vivant – diffuseurs, producteurs ou créateurs – dévoilent peu à peu le portrait de la saison 2023-2024. Fort heureusement, l’envie de poursuivre une dynamique qui a du sens finit toujours par prendre le dessus, mais c’est désormais au public d’apprendre à faire des efforts qui surpassent le simple principe de consommation culturelle. Dans une société de l’immédiateté, même le théâtre, l’opéra et la danse se retrouvent confrontés au syndrome de Netflix : on met dans sa liste, on regarde à demi en gardant un œil sur son smartphone, et on passe à autre chose.
La prochaine saison sera peut-être enfin celle qui nous permettra d’anéantir cette dynamique qui travaille à contre-courant de l’essence même du spectacle vivant. Avec des programmations rythmées par une nouvelle temporalité, il sera enfin temps de se poser, d’échanger, de partager pour faire vivre la création artistique au-delà du temps de représentation, et ainsi contribuer aux débats d’idées que le spectacle a toujours portés et qui trouvent un écho dans notre société. Avec la scène, on ne zappe pas, on construit une réflexion faite de complicités et de contradictions, de celles qui, dans nos rues ou nos sphères politiques, peinent considérablement à trouver leur chemin.
Oui, la saison 23-24 sera moins généreuse en nombre de représentations et de créations. Mais après toutes les concessions faites depuis des années par celles et ceux qui portent les programmations, peut-être le temps est-il venu, pour nous spectateurs, de leur rendre la pareille en nous intéressant toujours plus profondément et plus sincèrement à leur travail. Le spectacle vivant est une histoire d’équilibre. Quitter le plateau de la balance aujourd’hui serait un coup de grâce porté à sa santé déjà vacillante.
Voici donc l’appel que nous lançons aux publics pour cette nouvelle année : n’ayez pas peur de ce que vous ne connaissez pas, ne craignez pas la déception, ne reniez pas la nouveauté. Allez voir du spectacle et restez pour en parler. Osez partager vos émotions, vos réflexions, vos ressentis. Ainsi vous rappellerez à qui ne l’entend plus que l’art est vivant et qu’il ne peut en aucun cas se contenter des miettes d’un festin auquel il n’est que trop rarement convié.