Thomas Verny : « Il y avait un petit côté « provoc » à faire de la peinture »

Peintre et pastelliste, Thomas Verny fait partie de cette génération qui a été longtemps boudée par les institutions en France. Malgré cela, il n'a jamais trahi ses engagements artistiques, lui qui est issu d'une famille d'artistes. Passionné par la peinture sous toutes ses formes, il travaille aussi bien le paysage que la figure sous ses formes les plus intimes. Le Musée Paul Valéry propose jusqu'au 28 mai une monographie de son travail. Il est également présent au Mo.Co pour l'exposition Immortelle jusqu'au 4 juin.

Thibault Loucheux-Legendre  - Rédacteur en chef / Critique d'art
14 mn de lecture
Photo : Thibault Loucheux / Snobinart

Pendant longtemps la peinture n’a pas eu sa place dans les institutions en France, comment avez-vous vécu cette période ?

J’ai pris un peu de plaisir à cette situation quand j’étais étudiant. Il y avait un petit côté « provoc » justement à faire de la peinture avec des références XIXe, donc j’en ai même rajouté une couche… Le positionnement me plaisait. Après j’en ai aussi souffert. Mais comme dit Numa Hambursin dans le texte d’introduction de l’exposition Immortelle, il y avait d’autres solutions que de travailler avec des institutions dédiées à l’art contemporain. On pouvait travailler avec des galeries et c’est ce que j’ai fait. J’ai notamment travaillé avec Hélène Trintignant à la sortie de mes études dans les années 2000 et j’y ai pris beaucoup de plaisir. C’est très vivant de faire une peinture qui est collectionnée, c’est aussi bien que de travailler avec des institutions. C’était pas si dramatique que ça au fond. Mais aujourd’hui je suis ravi que cette pratique revienne.

Vous avez une très grosse actualité avec cette exposition collective au Mo.Co et une personnelle au Musée Paul Valéry à Sète. Comment vous vivez cette période ?

Oui c’est une coïncidence que les deux soient tombées en même temps. C’est très agréable (rire). D’une part l’expo du Mo.Co… c’est formidable que la peinture revienne et puis j’ai retrouvé plein de camarades que j’avais croisés pendant mes études. En ce qui concerne Sète, c’est une très belle proposition qui m’a été faite d’une présentation très large. Je le vis très bien, je suis très heureux de ce moment. Il y a un peu de fatigue bien sûr… à l’expo de Sète il y a beaucoup de tableaux… Mais c’est un moment formidable.


Nous allons d’abord aborder l’exposition du Mo.Co, vous avez dit que vous aviez beaucoup de camarades présents. Est-ce qu’il existe un lien entre-vous ?

Oui et non. Je garde toujours un peu des distances. Je suis issu d’une famille d’artistes. J’adore la peinture mais j’ai côtoyé beaucoup d’artistes dans ma vie, donc je cours pas spécialement après un entourage constitué d’artistes dans ma vie personnelle. Mais il y a beaucoup de gens que je connais et j’étais très heureux de les revoir. Je suis parti de Paris juste après mes études. Je suis parti en Espagne, puis j’ai vécu dans la Sarthe et je suis venu m’installer ici à Montpellier… Donc j’avais perdu le contact avec beaucoup de gens de cette génération, c’est pour ça que j’étais très heureux de les retrouver. Parmi eux il y en a beaucoup avec qui je partage pas mal de choses et avec plaisir.

Exposition au Musée Paul Valéry – Photo : Thibault Loucheux / Snobinart

Et d’un point de vue artistique, vous voyez un lien ? Où au contraire c’est la richesse de vos singularités qui vous réunit ?

C’est un peu le parti de cette exposition. Quand j’étais aux Beaux-Arts de Paris, il y avait tout un tas d’ateliers différents… Moi j’ai toujours été intéressé par des artistes comme ceux de l’Ecole de Londres… mais je m’intéresse aussi à d’autres artistes… Il y a différentes manières de faire. Des liens il y en a plein, mais le principal c’est la peinture en fait. C’est la passion pour ce médium en général. Je pense que quand on voit cette expo, on voit beaucoup de références à l’histoire de l’art et c’est probablement notre lien le plus fort, bien que nous ayons des pratiques différentes.

Venons-en à votre exposition au Musée Paul Valéry. Pouvez-vous nous la présenter ?

Quand j’ai rencontré Stéphane Tarroux et qu’il m’a présenté cette exposition, on s’était entendu également pour faire une présentation assez large de mon travail en deux parties. Il a été question au début de faire un projet spécifique autour du paysage de Sète. J’avais déjà mon idée en tête, travailler autour du cimetière marin où je rends aussi hommage à mon père qui a fait aussi une exposition là-bas il y a trente ans. J’ai intégré à l’accrochage un tableau qui est dans ma collection personnelle, que j’ai choisi de prendre un peu comme un fil conducteur pour ma série sur Sète. C’est donc la première partie, une partie de paysage qui est la plus importante en quantité de tableaux, dans sa forme très stable parce qu’il y a toujours les mêmes petits formats qui reviennent, qui sont peints en extérieur et qui donnent lieu après à des développements en atelier à des plus grands formats. Il y a une contrainte que je me suis imposée avec des petits formats en extérieur que je fais depuis une quinzaine d’années pour essayer de former un corpus géant. Je suis mille-cinq-cents et deux-mille petites vues. Puis il y a une deuxième partie dans cette exposition qui est consacrée aux figures, souvent avec des thématiques érotiques. Cette partie-là de mon travail est beaucoup moins stable. Comme je ne veux pas m’enfermer dans une pratique, là au contraire des petits formats il y a beaucoup de variétés… que ce soit dans les formats, les échelles, les techniques… Les paysages sont toujours au pastel alors que j’ai de la peinture à l’huile dans les figures… Les formats sont très différents… Les dernières expos que j’ai fait à la galerie Samira Cambie j’avais choisi de présenter ça dans des cadres anciens pour remettre un peu en question le white cube qu’on a toujours dans les galeries. Dans cette expo à Sète, il y a ce panorama de mon travail avec les deux aspects, les deux versants je dirai de ma pratique. Une qui est plus expérimentale et une qui est très stable consacrée aux paysages.

Vous travaillez donc beaucoup les paysages. Vous habitez à Montpellier, vous avez une exposition sur Sète… Qu’est-ce qu’il vous apporte ce territoire ?

Je suis venu m’installer ici. Ma famille est originaire d’ici, mais ils sont partis s’installer à Paris, donc je suis né à Paris et j’ai fait mes études là-bas. Je rêvais de m’installer dans le sud… Dès que j’ai pu quitter Paris après mes études je l’ai fait. D’abord en Espagne, puis après dans la Sarthe. Puis je suis venu m’installer ici, c’était une envie que j’avais depuis fort longtemps. Puisque je fais une pratique de peinture en extérieur, ce qui m’intéressait aussi c’était les lumières, le climat, la possibilité de travailler dehors durant toute l’année, notamment en hiver où il y a à la fois des belles lumières et des conditions agréables. Comme mes parents étaient originaires d’ici quand je vivais à Paris, je prenais mes vacances ici. Donc j’ai un vrai attachement sentimental. Ma famille c’était plutôt Clermont-l’Hérault, Montpellier mais mon père adorait Sète… on venait à la plage… Donc il y a aussi dans ce choix d’être ici quelque chose d’affectif. 

Vous parliez tout à l’heure de l’Ecole de Londres… Quelles sont vos influences ?

J’en ai beaucoup (rire). Si on parle de ma période de formation quand j’étais aux Beaux-Arts à Paris alors c’était tout simplement la famille. Mon père est mon premier maître, ma mère aussi dans un autre registre parce qu’elle a pratiqué beaucoup le dessin textile avec des préoccupations de l’ordre de l’ornement et du décoratif. Il y a aussi des amis de mon père comme Martin Dieterle, peintre qui était expert de Corot qui m’a initié à Corot très jeune. Un voisin aussi, François Fontaine qui était professeur de morphologie aux Beaux-Arts… C’est ce cercle de mon éducation en fait… Et Vincent Bioulès bien sûr aussi qui était un ami de mon père, ils ont fait leurs études ensemble. Ce sont ces gens-là qui m’ont donné envie de faire de la peinture. Après j’ai fait des découvertes hors du cadre de mon éducation comme les français Sam Szafran où Avigdor Arikha. Il a été un peu oublié, il y a pourtant des tableaux de lui conservés à Beaubourg. C’était une peinture d’après nature là aussi, une pratique de l’observation. J’ai fait aussi la découverte des peintres de l’Ecole de Londres comme Lucian Freux, Bacon bien sûr, David Hockney, Paula Rego… tous étaient importants pour moi. J’ai découvert le travail de Paula Rego à la fin de mes études et c’est un travail qui m’a beaucoup impressionné. C’était des artistes qui étaient contemporains quand j’étais jeune. Beaucoup sont morts maintenant… Mais je m’intéresse à la peinture en général, de toutes les époques. J’ai passé ma vie dans les musées quand j’étais étudiant. Je travaillais à l’atelier le matin et l’après-midi j’allais au Louvre, à Orsay… J’aimais beaucoup aussi Pierre-Henri de Valenciennes qui a théorisé ces histoires de saisi de la lumière et d’une peinture très spontanée, rapide, pour attraper la sensation en extérieur… Courbet évidemment par mes origines, avec la très belle collection qu’il y a ici au Musée Fabre… Bazille aussi… ce sont des préoccupations de paysagistes de l’instant… J’ai bien entendu beaucoup regardé aussi les impressionnistes, les pastellistes du XVIIIe… Degas aussi, Matisse, les Nabis… Donc mes sources sont multiples et je ne suis pas possédé que par des questions de paysages, il y a aussi cet aspect ornemental et intime qui m’intéresse du point de vu des thématiques. C’est un peu ce que j’ai essayé de faire dans la deuxième partie de l’exposition au Musée Paul Valéry. Associer un travail d’observation sur le corps et l’ornement et le décoratif.

Exposition au Musée Paul Valéry – Photo : Thibault Loucheux / Snobinart

Vous avez envie d’explorer le thème de l’intimité ?

Oui je continuerai. C’est un sujet qui est tellement présent dans la peinture de l’Antiquité jusqu’à nos jours, avec des périodes où c’était moins possible… avec des petits allés et retours comme ça… Mais qu’on retrouve dans d’autres cultures comme les gravures japonaises… Oui oui je continuerai à m’y intéresser, c’est une très belle thématique. Mais dans ma pratique des figures il n’y a pas que des tableaux liés au corps ou à l’érotisme, mais aussi une pratique du portrait que j’ai jamais vraiment montré dans mes expositions parce que c’est quelque chose de très intime. Ce sont souvent des portraits de mes proches.

Vous avez d’ailleurs fait un autoportrait récemment chez Samira Cambie ?

Oui voilà, c’est typiquement ce genre de production. J’ai fait des portraits de ma compagne, de mes enfants… 

C’est une autre manière d’aborder l’intimité finalement…

Oui, c’est de l’intimité sans la nudité. Et j’ai remarqué qu’il y a quelque chose d’assez particulier en France. J’ai pas beaucoup voyagé, mais j’ai un peu vécu en Angleterre et en Espagne. Chez les Anglais et les Espagnols, les gens se font faire leurs portraits et les accrochent dans leur maison et ça n’existe pas en France. Pourtant nous avons de grands portraitistes dans l’histoire de la peinture française… Il y a quelque chose qui doit faire un peu peur aux gens, de l’ordre du narcissisme ou je sais pas… Je suis pas sur que les Français soient très à l’aise avec la représentation…

Pourtant les Français exposent leurs photographies chez eux ?

Oui, c’est curieux…

Quels sont vos prochains projets ?

Pour l’instant, heureusement que je n’en ai pas, parce que je suis un peu fatigué (rire). J’ai une exposition de prévue à la galerie Samira Cambie. Elle était prévue en juin, mais on a décidé de la repousser parce que ça faisait un peu beaucoup. Donc elle aura lieu à l’automne ou en janvier. Mais des projets de séries de tableaux, ça j’en ai plein !

Thibault Loucheux-Legendre

Après avoir étudié l'histoire et le cinéma, Thibault Loucheux-Legendre a travaillé au sein de différentes rédactions avant de lancer Snobinart et de se spécialiser dans la critique d'art contemporain. Il est également l'auteur de plusieurs romans.

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Par Thibault Loucheux-Legendre Rédacteur en chef / Critique d'art
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