Plongée dans la mythologie de Chloé Viton

Parmi les jeunes artistes sortis de l’école des Beaux-Arts de Montpellier ces dernières années, Chloé Viton occupe une place toute particulière. Depuis six ans, elle enchaîne les expositions sur le territoire et ailleurs, développant son univers singulier et inspiré à la fois des sciences, de la mythologie, du Japon, du cinéma... Une œuvre mystique qui se regarde, s’écoute en s’activant par la performance et dans laquelle il faut plonger comme dans un rêve. Sautons dans le terrier du lapin blanc...

Thibault Loucheux-Legendre  - Rédacteur en chef / Critique d'art
10 mn de lecture
Photo : Thibault Loucheux-Legendre / Snobinart

Depuis plusieurs années, les créatures de Chloé Viton croisent notre chemin au détour des expositions… On pense à Possédé.e.s à la Panacée, à Intelligence Artificielle Vivante au Pont du Gard, Mammatus à la galerie Aperto, ou encore plus récemment Sol ! La Biennale du territoire #2 Soleil triste à la Panacée et Creepypasta au Frac Occitanie Montpellier. Ces sculptures se dressent dans les salles d’exposition, envoûtant l’espace par leur présence mystique.

En quelques années, Chloé Viton s’est construit un univers mêlant sciences et mythes, rêve et réalité, souvenirs et hypnose… dans lequel s’épanouissent toutes sortent de créatures singulières.

Étudiante aux Beaux-Arts de Montpellier, Chloé Viton monte avec une dizaine d’étudiants le collectif In Extremis en 2015. Ce groupe avait pour objectif de faire une résidence d’un mois en Équateur avec une exposition collective à l’Alliance Française de Quito. De retour en France, le collectif poursuit ses monstrations avec des expositions à Montpellier (à l’espace Saint-Ravy, au Frac, pour 100 artistes dans la ville…). Si aujourd’hui chacun poursuit sa voix artistique, Chloé Viton continue elle aussi d’explorer les sujets qui l’animent. Étudiante, elle s’intéresse à la question des matrices, à l’organique, à la matière et commence à faire de la sculpture et des installations s’apparentant à des végétations post-apocalyptiques, autour de formes hybrides avec des assemblages de matériaux comme de la cire, du tissu… : « ces créations s’apparentaient un peu à des créatures en même temps… Mais c’est vraiment à la fin des Beaux-Arts que j’ai voulu travailler plus sur des habitants de ces environnements. À la fin de la cinquième année, j’avais fait une performance où on voyait l’un des premiers personnages que j’ai réalisés avec un grand chapeau bleu et des cheveux qui cachent son visage. C’est une femme qui fume une chicha, qui boit du Martini, avec ce côté un peu Lynch… Elle reprenait les mouvements de Laura Palmer dans Twin Peaks. Un personnage flottant avec des mouvements très lents… C’est à ce moment-là que j’ai commencé à faire ces personnages ».

Oxygène, Chloé Viton. Photo : Thibault Loucheux-Legendre – Snobinart

Si durant son apprentissage Chloé Viton s’interrogeait plus sur des questions abstraites, le corps fait partie intégrante de son travail aujourd’hui. C’est grâce à ce cheminement qu’elle a créé Cosmic Soup, un projet né durant Saison 6, le dispositif post-diplôme original du Mo.Co Esba : « Ce projet part de la soupe cosmique primitive, une théorie de l’évolution et de l’apparition de la vie. Je faisais des recherches là-dessus, mais rien que par le terme employé, l’idée de soupe cosmique primitive je trouvais que ça emmenait dans un univers complètement à part. Cette théorie explique qu’il y a six éléments chimiques dans un bain aqueux et pendant des milliers d’années ils se sont agencés par affinité et aléatoirement pour créer les premières cellules de vie. J’ai personnifié chaque élément chimique en lui créant un costume en lien avec des divinités et des personnages de légendes ». Pour ce projet, l’artiste a personnifié les six éléments : CarboneHydrogène (voir photo)MagnésiumPotassiumAzote et Phosphore. Durant Saison 6, Chloé Viton est partie deux mois à l’étranger, se focalisant sur un personnage par temps de résidence. Carbone est né en Inde, Hydrogène à Venise et Magnésium à Istanbul. Cosmic Soup a pris la forme d’une installation avec un bassin noir et d’une performance de deux heures durant laquelle chaque personnage développe une sorte de rituel propre. Avec la performance, nous touchons ici un élément central du travail de Chloé Viton. Si l’artiste parvient à sculpter des personnages qui dégagent une grande vitalité, elle leur donne également vie en les activant. L’artiste a d’ailleurs présenté une performance au Centre Pompidou à l’occasion de l’événement Tableaux vivants en juin 2021.


A l’occasion du vernissage de l’exposition SOL ! La Biennale du territoire #2 Soleil triste en octobre dernier à la Panacée, Chloé Viton a activé une autre sculpture intitulée Hématie, The birth of Oni Baba. Cette pièce particulière, dans la lignée de ses créations inspirées de personnages mythologiques et des faits scientifiques, est une représentation d’Oni Baba, une sorcière japonaise. Cette dernière lui est apparue en rêve voilà plusieurs années et lui avait dit « ne te perds pas dans les méandres de ton esprit ». Si ce travail est lié à une grande recherche, Chloé Viton ne néglige pas son vécu dans sa pratique : « Tout ça est aussi nourri d’expériences personnelles, de choses de la vie de tous les jours… Il y a des choses liées à mes rêves, à des signes que je fais quand je dors… Le personnage de l’Hydrogène a toute une espèce de chorégraphie liée au fait que pendant plusieurs mois je me réveillais avec les bras tendus vers le ciel… Des choses très étonnantes auxquelles je ne trouve pas d’explication et que je réinsère dans mon travail parce que j’ai envie que ça existe. Quand on raconte un rêve il n’a jamais la même puissance ». À la suite de ce rêve et après des recherches, Chloé Viton s’est aperçue que ce prophète onirique était Oni Baba. L’été dernier, la plasticienne est partie sur les traces de ce personnage au Japon. Ce personnage tragique était la nourrisse d’une petite fille de cinq ans dans une famille japonaise. La fillette était très malade et la famille demande à la nourrice de trouver un remède. Partant sur les routes pendant plusieurs années, elle apprend que la guérison viendrait lorsque l’enfant mangerait le foie d’un fœtus. La nourrice se cache alors dans une grotte, attendant qu’une femme enceinte passe, ce qui arriva. Après son meurtre, elle se rend compte que la victime porte le collier qu’elle avait donné à sa fille, apprenant ainsi qu’elle venait de tuer sa descendance. La nourrice sombra dans la folie et se transforma en Oni Baba. La sculpture qui trône au centre de la dernière salle de la Panacée est la réinterprétation par l’artiste de ce personnage tragique.

The birth of Oni Baba, Chloé Viton. Photo : Thibault Loucheux-Legendre – Snobinart

La fin de l’année 2023 a été riche pour Chloé Viton qui présentait également le résultat d’un an de résidence entre le Centre Culturel de l’Université Paul Valéry et le Frac Occitanie Montpellier. Durant cette année, Chloé Viton a travaillé en binôme avec Geoffrey Badel autour des creepypasta, des légendes urbaines et histoires d’horreur qui sont diffusées par Internet. Ce sont des éléments comme des sons, des vidéos, des photos, des textes qui sont postés anonymement. La communauté d’Internet s’empare de ces composants, créant un mythe autour d’eux. Ces histoires d’horreur contemporaines ont attiré les deux artistes qui se sont créé deux alter ego Ziti et Orzo. Les plasticiens ont dû réaliser un travail de recherche considérable sur Internet, infiltrant les communautés de fans de creepypasta, se créant de faux comptes pour comprendre qui était ce public. Leur travail dense s’est développé en deux chapitres. Le premier volet était un spectacle présenté au Théâtre La Vignette que Chloé Viton nous décrit : « Au début du spectacle, on déterrait une housse devant une vieille grange à la tombée de la nuit. On avait invité le public à avoir des parapluies noirs comme pendant des funérailles. Nous avons mis la housse dans une voiture, puis le spectacle se poursuivait dans un des studios du théâtre, comme une sorte de célébration autour de cette housse mortuaire dont on ne sait pas ce qu’elle contient ». Le deuxième chapitre de ce projet se déroule au Frac où les artistes ont souhaité reproduire un environnement de backroom, un espace labyrinthique sans fenêtres, s’apparentant à un open space désuet et obsolète… Comme une grande installation avec des objets qui viennent ponctuer ce parcours. Lors du vernissage, Chloé Viton et Geoffrey Badel ont réalisé une performance sous les traits de Ziti et Orzo, pratiquant une sorte d’autopsie sur la housse déterrée à l’Université Paul Valéry. On retrouve dans cette ambiance tous les chefs- d’œuvres qui ont construit le cinéma d’horreur, de Massacre à la tronçonneuse aux films de David Cronenberg.

Photo : Thibault Loucheux-Legendre – Snobinart

Malgré sa jeune carrière artistique, Chloé Viton est déjà parvenue à développer une œuvre singulière et d’une grande richesse, s’inspirant à la fois des sciences, des récits, de ses expériences… Il se dégage de cette mythologie personnelle une grande force qui intrigue à la fois les connaisseurs et les profanes.

Thibault Loucheux-Legendre

Après avoir étudié l'histoire et le cinéma, Thibault Loucheux-Legendre a travaillé au sein de différentes rédactions avant de lancer Snobinart et de se spécialiser dans la critique d'art contemporain. Il est également l'auteur de plusieurs romans.

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Par Thibault Loucheux-Legendre Rédacteur en chef / Critique d'art
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