Sophie Muret : « L’art réveille et révèle notre étoile intérieure. »

Alors que Snobinart était à ses prémices, nous partions à la rencontre des artistes pour échanger autour de leurs projets. L'une des premières que nous avons rencontrées est Sophie Muret. Chacun de notre côté, nous avons grandi ces dernières années tout en ayant un œil bienveillant sur nos évolutions. Sophie Muret est une « Belle Etoile » qui croit en sa bonne étoile. Artiste singulière qui s'est révélée par la réincarnation, elle multiplie les projets, puisant une énergie folle dans son corps intérieur et de ses échanges avec les autres. Nous avons souhaité vous partager l'histoire et les créations de cette artiste unique.

Thibault Loucheux-Legendre  - Rédacteur en chef / Critique d'art
14 mn de lecture
Photo : Peter Avondo / Snobinart

Alors que nous lancions le site Internet de Snobinart, vous lanciez la galerie la Belle Etoile. Est-ce que vous pouvez nous parler de cette galerie ?

Tout est arrivé naturellement. C’est un souffle. Juste après le confinement, début juin 2020, Jacques Durand est venu vers moi pour me proposer de louer un espace pour faire une galerie. A l’époque j’étais pleine de doutes, dans une situation un peu moins confortable qu’aujourd’hui, j’habitais loin, j’avais mes enfants et financièrement c’était compliqué… Il m’a dit que c’était pas grave et qu’il allait s’occuper de tout. Début juin 2020, je ne connaissais même pas l’espace, j’arrive devant la galerie, les volets étaient fermés et Jacques Durand m’a mis les clés dans les mains pour que j’ouvre. J’ai une théorie qui est de dire oui à la vie et en fait c’est parti ! Il y avait pas de nom, il est venu d’un coup… « La Belle Etoile ». On a tous rêvé de dormir sous un ciel étoilé, l’art réveille et révèle notre étoile intérieure. Quatre semaines après la galerie était ouverte. A l’époque, Jacques Durand était en contact avec Zoé Ambellan, la fille de Harold Ambellan et ils ont décidé d’exposer Harold Ambellan. Cette année-là, les Rencontres de la photographie avaient été annulées et la Ville d’Arles avait décidé de faire un focus sur l’art contemporain. J’ai dit d’accord pour Harold Ambellan, mais je pensais que l’essence d’Arles c’est la photographie donc je voulais de la photographie dans la galerie. Au départ, Jacques Durand ne voulait pas que ce soit ma photographie qui soit exposée. Donc je me mets à chercher… Mais je découvre l’oeuvre d’Harold Ambellan et il y avait une telle résonance avec ma série d’autoportraits que je me suis dit que c’était impossible de chercher ailleurs ce que j’ai déjà. C’était pas une question d’égo. Le 3 juillet c’est le vernissage, il y a un monde fou. Les gens me demandaient si j’avais fait mes photos en fonction de l’oeuvre d’Harold Ambellan tellement il y avait un lien.

La galerie a bien évolué en trois ans, quelles sont les expositions prévues ?

A la fin du mois d’avril j’ai rouvert la galerie après l’avoir abrité pour habiter. C’est incroyable ce qu’il se passe avec cet « espace ». J’ai parlé il y a peu avec un professeur d’histoire qui m’a dit que « espace » ça voulait dire « temple ». J’ai fermé cet hiver parce que j’en avais besoin, et maintenant j’ai besoin de me reconnecter complètement, comme si je le chargeais et je le vide. Pendant l’été c’est un rush total, il y a tellement de personnes qui passent… quand on sort de l’été, l’espace physique de la Belle Etoile a besoin de se réhabiter. Le 29 avril, j’ai ouvert avec Unité.d, c’est une exposition qui vise à rassembler tant les humains que l’humain dans son environnement. C’est à la fois l’unité et le « être ensemble », l’enlacement. Il y a trois artistes qui exposent, Unité.d c’est la réunion. Et pour la première semaine des Rencontres de la photographie, la galerie la Belle Etoile accueille le grand prix Eurazeo avec l’oeuvre du photographe Giulio di Sturco. C’est quelque chose d’important, je suis très honorée d’accueillir ce prix. C’est très pur, c’est très beau, un très beau projet. 


Vous parliez de l’enlacement. Vous pratiquez l’art et vous avez un rapport tout particulier au corps… L’art et le corps sont liés dans votre travail…

J’ai réalisé que l’art est une extension de nos cellules, une extension de notre matière. Cela fait partie de mon chemin de vie, de mon processus… C’est directement connecté à ma photographie. J’ai beaucoup vécu de façon spirituel. Dans mon parcours de vie je me suis beaucoup rétractée… rétractée… rétractée…j’ai rétracté mon espace… au point d’aller jusqu’au cancer du rein… Au point de ne presque vivre uniquement par l’esprit. C’est-à-dire que j’avais l’impression d’être mort vivante… Et c’est par la photographie que j’ai connue cette résurrection. La vie est un renouveau de chaque instant. Je ne me suis pas rendu compte de ce processus de réincarnation.

Photo : Peter Avondo / Snobinart

Quand a commencé ce processus de réincarnation ?

Je vous dis tout sans filtre… Je me suis fait opérer de mon cancer du rein pendant l’été 2013. Après ça, j’ai pensé que tout serait plus simple, parce que j’avais été très loin dans la limite. C’était quitte ou double : soit je survivais à cette opération, soit c’était fini. Et j’ai choisi la vie, j’avais cette force intérieure. Après cet événement j’ai pensé que tout serait plus simple pour moi, que je serai libérée d’une certaine manière et que mon intensité de vie serait plus forte. Puis au fur et à mesure du temps, j’ai senti que cette intensité rediminuait. Je recommençais à me rétracter, à perdre mon souffle. Puis j’ai reçu un flash, j’ai compris que j’étais enfoui à l’intérieur de moi, que si je ne retrouvais pas celle que j’étais spirituellement, j’allais mourir. J’ai alors commencé un immense travail sur moi, c’est comme si pendant deux ans, de 2016 à 2018, j’étais en prépa Sophie Muret quoi (rire). J’ai repris la danse classique, j’ai beaucoup lu, j’ai suivi des conférences… énormément de choses… Puis fin 2018, je sors de ma douche, j’ai un face-à -ace avec moi-même devant le miroir et j’ai une nouvelle pensée qui m’arrive et qui me dit que je me connais mieux, mais pour m’accepter dans ma globalité, ça passe aussi par le corps. Et c’est à ce moment-là, par intuition, que je fais les autoportraits. Je décide de les mettre sur une carte SD et j’ai tellement peur qu’on découvre cette carte que je la garde toute la journée dans ma poche pendant plusieurs mois. Le soir, avant de me coucher, je la pose dans un tiroir à côté de moi… j’avais peur qu’on voit… comme si j’avais transgressé. En parallèle de ça, j’écrivais beaucoup, comme une sorte de transe… Il fallait que je passe par là pour me réincarner. Tous les matins, quand je me levais, c’est comme si mon âme s’était envolée et que je n’arrivais pas à l’attraper. Puis j’ai compris que chaque cellule est une entité à part entière, qu’elle est complète. Donc finalement, mon âme, je la porte dans mon corps. Et finalement, je vois la galerie l’Hirondelle à Arles qui poste un appel à candidatures pour le Festival Tombé.e.s des Nu.e.s en mai 2019. Quand je vois ce qu’elle cherche, alors ces photos que je n’ai jamais montré qui sont sur ma carte SD. Je lui envoie cinq images. Et puis c’est parti ! J’étais sélectionnée ! J’ai vu que mon nom était dans le programme et j’ai compris que c’était une réalité.

Toujours dans cette relation au corps, vous avez créé le Festival In Corpus Photography, pouvez-vous nous en parler ?

Ce festival s’inscrit dans un cheminement. Lors de cette fameuse exposition à la galerie l’Hirondelle des Quais, j’ai échangé avec un visiteur autour de mes photos et du corps, et je lui ai dit : « Ce corps que j’ai souvent blâmé parce qu’il me donnait des limites, aujourd’hui je me rends compte que je lui dois tout parce qu’il m’a indiqué le chemin et la voie à suivre. » A ce moment-là je prends conscience de la préciosité du corps. C’est le fondement d’In Corpus Photography. C’est éveiller nos consciences dans notre rapport au corps et à être par le médium de la photographie. J’ai senti cet appel à Arles en mai 2019. Cette ville avait besoin qu’on envoie une nouvelle énergie. In Corpus Photography réveillait et révélait notre identité. J’ai parlé de cette idée de festival au directeur de la culture d’Arles qui a adoré l’idée… C’est venu très naturellement dans les statuts, le corps qui prend la photographie, la photographie qui prend corps. Au même moment, j’ai été contacté par l’antenne multimédia de l’Université Aix – Marseille basée à Arles, ils m’ont proposé de m’occuper d’étudiants en projet tutoré pour qu’ils créent un site web, une charte graphique et un logo. Je savais pas trop où on allait, on sortait du confinement, mais j’ai quand même dit oui. Et finalement c’est grâce aux étudiants que le festival est sorti de terre. On a d’abord créé le logo, on avait un sens et une identité forte. C’est parti des réseaux sociaux, on a lancé un appel à participation que je cible sur tout le globe. Je fais très attention que l’appel ne reste pas bloqué sur un continent où un pays, où une ville… La seule condition c’est d’avoir 18 ans. Et ça a très bien marché, dès la première année on reçoit beaucoup de candidatures. En mai 2021, je réunis 21 photographes du monde dans deux endroits à Arles : à la Belle Etoile et à la résidence Le ciel dans l’escalier. In Corpus Photography ça touche, parce que ça touche à l’existence, à l’existentiel… A ce moment-là, il y a encore beaucoup de pays confinés. On reçoit des candidatures de photographes émergent, d’autres plus connus… la plus jeune a 18 ans et le plus âgé a plus de 70 ans. J’ai reçu toutes ces candidatures, il y avait des messages vraiment très fort, j’ai senti le cadeau que c’était, cette confiance universelle des gens qui m’envoient leurs émotions… Je me devais de le faire rebondir. Aujourd’hui, In Corpus Photographie commence à être plus connu à Arles et en France, mais finalement je pense qu’il est plus connu sur le globe. J’ai reçu un soutien important, celui de la Fondation Swiss Life, qui m’a aidé huit jours après que je les ai contacté.

Vous pouvez nous parler de l’édition de cette année ?

Cette édition 2023 s’appellera « In Corpus Photography Show ». On a clôturé l’appel à participation. On est toujours sur la même résonnance. Il y a des choses qui ressortent… Le festival se déroulera du 13 juillet au 3 septembre. 

Et on ne vous arrête plus ! Vous exposez votre travail à la galerie Karine Meyer également cet été ?

Tout le mois de juillet j’expose à la galerie Karine Meyer. D’habitude elle n’expose que des gens du cinéma car elle travaille dans ce milieu. Elle a eu un coup de cœur pour mon œuvre et je suis très honoré qu’elle soit venue me chercher. Elle me donne tout l’espace et beaucoup de liberté. Bien sûr, il y aura mes autoportraits, et peut-être des dessins et peintures et de la street photography. C’est comme si j’offrais une partie de ma création. C’est un peu une avant-première de la Biennale de Venise 2024. J’ai été contacté par le Centre Culturel Européen pour exposer pendant la Biennale. Sept mois d’exposition d’avril à novembre 2024. C’est aussi un projet magnifique qui arrive.

Thibault Loucheux-Legendre

Après avoir étudié l'histoire et le cinéma, Thibault Loucheux-Legendre a travaillé au sein de différentes rédactions avant de lancer Snobinart et de se spécialiser dans la critique d'art contemporain. Il est également l'auteur de plusieurs romans.

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Par Thibault Loucheux-Legendre Rédacteur en chef / Critique d'art
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