Neo Rauch, une légende de la peinture contemporaine au MoCo

C'est un véritable événement artistique à Montpellier et en France. Le MoCo présente une exposition de Neo Rauch, légende de la peinture figurative contemporaine. Ses toiles monumentales réalisées avec une main de maître inspirent mystère, poésie et étrangeté. C'est la première fois qu'une exposition est consacrée à l'artiste allemand en France.

Thibault Loucheux-Legendre
Thibault Loucheux-Legendre  - Rédacteur en chef / Critique d'art
6 mn de lecture

La dernière exposition au Mo.Co s’intitulait Immortelle et présentait un panorama de la jeune peinture figurative française. Sous l’impulsion de Numa Hambursin (directeur du Mo.Co et l’un des plus grands défenseurs de la figuration en France), les visiteurs découvraient ces artistes qui ont fait le choix de cette pratique dans un pays qui en était alors hostile. Exposition chargée pour certains, riche pour d’autres, elle avait le mérite d’être d’une grande générosité, avec la volonté de montrer cette peinture qui fût trop longtemps considérée persona non grata dans les institutions hexagonales.

Avec une logique à souligner, Numa Hambursin poursuit cette exploration de l’art pictural snobé ces dernières décennies en réalisant une rétrospective de l’un des maîtres de cette jeune génération : Neo Rauch. L’artiste allemand est une figure de l’art contemporain qui n’a jamais vraiment trouvé grâce aux yeux des institutions françaises. Mis à part quelques expositions collectives (et notamment trois toiles exposées à Beaubourg et trois autres à l’ambassade d’Allemagne), ses créations ne sont pas parvenues à franchir les frontières d’un pays majoritairement hostile à la peinture… avant cette exposition Le songe de la raison au Mo.Co. Dans le catalogue de l’exposition, Numa Hambursin nous explique l’influence qu’a pu avoir cet artiste qu’il place au sommet de son panthéon personnel : « Pourquoi la peinture de Neo Rauch a-t-elle eu tant d’influence sur nous, alors même que nous avons eu si peu l’occasion de la voir ? (…) Pour nous, c’est-à-dire les amoureux de peinture contemporaine dont, en premier lieu, les artistes peintres eux-mêmes, Neo Rauch est une légende. Son nom me fut transmis comme un secret pour initiés, presque au creux de l’oreille, un code qu’il suffisait d’invoquer sans donner plus de justifications à son importance. » Pour découvrir les œuvres de Neo Rauch, ces « amoureux de la peinture » devaient franchir le Rhin ou l’Atlantique. En effet, la cote du peintre est importante dans son pays ainsi qu’aux Etats-Unis, en témoignent les toiles acquises par le footballeur Michael Ballack ou pas les stars américaines Brad Pitt et Leonardo Di Caprio.

Né en 1960 à Leipzig, Neo Rauch a grandi dans une ville de l’ancienne RDA, de l’autre côté du mur de Berlin. L’artiste étudie les Beaux-arts dans cette même ville, avant de devenir le chef de file de la « Nouvelle école de Leipzig », mouvement de peinture allemand qui regroupe plusieurs artistes contemporains qui ont émergé dans le climat de la post-réunification dans les années 1990.

Particulièrement sensible à la peinture, cette exposition, provoquait chez moi une attente particulière et une curiosité certaine. Le songe de la raison offre une monographie qui s’engage de manière chronologique. Les premières salles montrent les premières toiles de Rauch réalisées dans les années 1990 (son travail avant le chute du mur de Berlin n’est pas présent). S’il se dégage déjà une maîtrise et une singularité certaines, on perçoit tout de même une réflexion autour d’une recherche de personnalité entière qui se révèle à travers ces toiles aux compositions architecturales qui hésitent entre figuration et abstraction. L’artiste défini lui-même cette période de « temps d’incubation » et avoue qu’il était encore sous l’emprise de ses influences et d’une idée qu’il pouvait se faire de la peinture à l’époque. Il s’intéresse alors aux artistes qui s’épanouissaient de l’autre côté du mur tels que Francis Bacon ou Gérard Garouste.

Neo Rauch et son œuvre « Abendglut » (2016) – Photo : Thibault Loucheux / Snobinart

C’est donc à partir du nouveau millénaire que Neo Rauch fait naître sa véritable personnalité. Au fur et à mesure des années, il se livre dans son art et les toiles deviennent plus grandes, plus colorées, plus denses, plus vivantes… Chacune d’entre-elles est réalisée avec une maîtrise technique déconcertante. Cette main de maître, Rauch la met au service de la construction d’un monde complexe aux enjeux multiples. Au premier coup d’œil, nous sommes en présence d’une scène banale qui tend à manquer de clarté face à la force de notre regard (notamment grâce à la représentation de perspectives multiples, l’utilisation des changements d’échelle…). S’il s’est détaché du spectre de l’omniprésence de ses influences, elles n’en sont pas moins présentes… elles se sont même démultipliées s’inspirant de son quotidien, de ses souvenirs, de ses rêves… Tout cela est mis au service d’œuvres donnant un rôle principal à l’inconscient, défiant l’analyse et offrant une pluralité d’interprétations. Ces allégories mettant en scène des éléments abstraits, d’innombrables événements et des personnages errants dans un univers onirique inspirent mystère, poésie et étrangeté, le rapprochant ainsi du surréalisme.

Brillamment mise en espace, cette exposition (à découvrir jusqu’au 15 octobre) permet au visiteur de prendre le temps, de profiter de chaque œuvre et pourquoi pas tenter une approche interprétative… Quoi qu’il en soit, le MoCo fait le choix nécessaire de nous partager le travail d’un artiste qui marquera la peinture de notre temps. Comme le dit si justement Numa Hambursin dans le catalogue d’exposition, c’est « une œuvre universelle et démesurée qui donne l’impression si rare de parvenir à la postérité alors même qu’elle n’est pas achevée. »

Également dans : Snobinart N°14
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Par Thibault Loucheux-Legendre Rédacteur en chef / Critique d'art
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Après avoir étudié l'histoire et le cinéma, Thibault Loucheux-Legendre a travaillé au sein de différentes rédactions avant de lancer Snobinart et de se spécialiser dans la critique d'art contemporain. Il est également l'auteur de plusieurs romans. 06 71 06 16 43 / thibault.loucheux@snobinart.fr
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