Quel parcours atypique que celui de Martial Raysse… Dès ses débuts, il fait partie des plus jeunes protagonistes du Nouveau Réalisme. Contrairement à ses confrères, il ne pratique pas la réutilisation d’objets. Il préfère plonger dans les grandes surfaces. Ainsi, il s’approprie les codes de la publicité en reconstituant un monde artificiel aux couleurs saturées qui serait plus « beau » que la réalité. Il est l’un des premiers artistes à utiliser le plastique ou le néon dans des œuvres d’art, avec la volonté d’utiliser des objets capables de vaincre la mort et générant une « hygiène de la vision ». Cette démarche fait de lui l’artiste français se rapprochant le plus du Pop art qui règne en maître aux États-Unis à l’époque.
Alors que Martial Raysse est devenu un artiste connu et reconnu, il entreprend une importante réflexion sur la nature de l’œuvre d’art et sur sa marchandisation en abandonnant son style pop. Il pratique le cinéma, la sculpture et se fascine pour les grands maîtres de la peinture. Il considère depuis que ses pratiques « modernes et contemporaines » sont « une erreur de jeunesse », « faciles » et qu’elles lui ont « fait perdre du temps ». Il développe et partage plusieurs théories sur l’art, pensant que « l’art contemporain et l’art moderne c’est une rhétorique. Chaque artiste s’autorise celui qui l’a précédé (…) si on en enlève un, tout s’écroule (…) dans l’art contemporain il n’y a pas d’émotion, ça ne raconte rien, ça n’aide pas les gens à vivre. Tous ces gens-là ont banni l’émotion ». Il préfère pratiquer la peinture, voyageant pour plonger dans les œuvres des peintres qui ont fait l’histoire de l’art. Une nouvelle fois, Raysse hiérarchise la peinture, classant la nature morte, le paysage, le portrait et enfin la peinture d’histoire qui regroupe tous ces genres artistiques. Ambitieux, l’artiste consacre la fin de sa carrière à cette dernière, réalisant des toiles monumentales inspirées des grands genres traditionnels de la peinture (histoire, religion…).
Durant les trente premières années de sa remise en question artistique, Raysse est oublié et tombe dans l’indifférence. Le milieu de l’art ne comprend pas ce revirement vers la peinture figurative qu’il voit comme un retour en arrière. C’est le collectionneur François Pinault qui acquiert certaines œuvres, les montre et redonne des couleurs à la carrière à la fois foisonnante, passionnante et complexe de Martial Raysse. Il connaît une grande rétrospective au Centre Pompidou en 2014, puis une exposition personnelle au Palazzo Grassi à Venise en 2015. Aujourd’hui, le Carré d’art à Nîmes ressort ses collections à l’occasion de ses trente ans et consacre une exposition à l’artiste au Musée des Beaux-Arts. Après avoir refusé d’exposer ces dernières années, il accepte de montrer ses œuvres récentes au Musée Paul Valéry à Sète.
S’il a longtemps été un artiste incompris et boudé par le milieu de l’art, nous pouvons dire à la fin de la carrière de Martial Raysse que son parcours ne fait pas moins de lui qu’un visionnaire. Au fur et à mesure des décennies, il a su renouveler sa pratique, explorant différentes techniques, matières, formes… Le retour de la figuration aujourd’hui lui donne raison et montre bien qu’à défaut de suivre le mouvement, il était en première ligne, un véritable protagoniste d’une histoire en perpétuelle mutation.