Marlène Mocquet : « Un artiste se doit de chercher toute sa vie »

Après avoir exposé les œuvres d’Olympe Racana-Weiler, la Fondation GGL explore l’univers d’une autre femme artiste : Marlène Mocquet. L’artiste entretient une relation toute particulière à la création. Isolée plusieurs fois durant un an, ce cloisonnement lui a permis de s’ouvrir à la pratique artistique. Depuis elle s’est créé un univers pictural dans lequel de petits personnages prennent vie. Dans son exposition Différent parfois, Libre toujours à la Fondation GGL, Marlène Mocquet nous partage son monde onirique tout en rendant hommage à ceux qui lui ont fait confiance pour l’élaboration de son œuvre pérenne Longue-vue présente dans l’Hôtel Richer de Belleval.

Thibault Loucheux-Legendre
Thibault Loucheux-Legendre  - Rédacteur en chef / Critique d'art
9 mn de lecture

Au point de départ de cette exposition Différent parfois, Libre toujours, il y a un lieu et une aventure à laquelle vous avez participé. Est-ce que vous pouvez nous en parler un peu ?

Oui bien sûr ! J’ai eu cette chance, le cadeau d’une vie, d’avoir été invitée à participer à cette aventure dans un premier temps par Numa Hambursin, qui était anciennement directeur artistique de l’Hôtel Richer de Belleval, puis il y a eu ensuite tous les fondateurs du lieu, c’est-à-dire le groupe GGL avec Alain Guiraudon, Thierry Aznar, jacques Guipponi, Jean-Marc Leygue et les frères Pourcel. J’ai donc eu cette chance de créer l’œuvre pérenne Longue vue, un plafond que j’ai réalisé en 2019. C’est un lieu qui est rempli de contraintes, mais dans la contrainte il y a énormément de liberté, donc j’ai pu m’appuyer aussi sur l’histoire du lieu et de Pierre Richer de belleval qui était un ancien botaniste médicinal sous Henri IV. Je vous invite d’ailleurs à découvrir son jardin… J’ai donc fait des références à son herbier, j’ai fait des références aussi à la Pink Lady Pomme d’amour, le dessert très populaire des frères Pourcel, j’ai fait référence au héron, aux oiseaux et plus généralement à la faune de la région. Ensuite, j’ai fait une corne d’abondance de pommes qui sont des boulets de bagnards accrochés aux pattes des hérons où se nichent des oiseaux. C’est un sujet qui est plein de polarités car on est en prison, mais la prison peut être aussi un espace de liberté en quelque sorte. Par la suite, j’ai donc inauguré l’exposition Différent parfois, Libre toujours qui est vraiment un hommage rendu à toutes ces personnes qui m’ont fait un cadeau d’une vie et à qui je dois toute ma gratitude. J’ai donc souhaité les transformer en César, comme les Césars qui ornent le plafond Longue-vue en les identifiant et en faisantdes portraits analytiques en quelque sorte, avec les objets qu’ils chérissent, leurs plaisirs, leur personnalité… Donc ça c’est vraiment un hommage rendu pour eux. Dans la deuxième salle, j’ai voulu créer un espace plus intime de réflexion d’hôtel en lien avec le restaurant étoilé des chefs pour dialoguer avec le lieu, le contexte, et que ce soit aussi un espace immersif dans lequel on puisse plonger dans des émotions qu’on n’aurait pas forcément l’habitude de ressentir au quotidien.

Les visiteurs qui ont vu votre exposition ont pu se rendre compte que vous avez un univers très singulier. Pouvez-vous nous décrire ce monde que vous avez créé ?

C’est vraiment un monde que j’ai créé de toutes pièces. J’ai eu comme beaucoup d’artistes… Je ne suis pas la seule à avoir vécu ce genre de chose, j’ai été hospitalisé et isolé deux fois trois mois en une année. Durant cet épisode je m’ennuyais beaucoup et les infirmiers m’avaient donné des crayons de couleurs, des perles et du fil. De fait, moi qui n’étais pas du tout intéressée par l’art, le dessin, la création… Je me suis construit un refuge, mon monde à moi qui aujourd’hui me tient en vie. Aujourd’hui, je ne pourrais pas ne pas peindre. C’est un organe, ça fait partie de ma vie de créer. Petit à petit, ça a fait un peu comme le Petit Poucet, c’est un caillou, puis un autre caillou… Tous les jours c’est une nouvelle pierre à l’édifice qui se pose, qui construit et qui est sans fin. Quand je me remémore cette histoire de collier de perles quand j’étais hospitalisée et que j’avais quinze ans, au final j’ai ce sentiment encore présent quand je fais une peinture que je mets une perle après l’autre. Voilà comment s’est construit mon monde, mais sans référence aucune.

C’est curieux que vous n’ayez pas spécialement de référence. Quand on voit votre travail, Disney, Miyazaki ou les contes de Grimm sautent aux yeux…

En fait toutes ces références sont dans l’univers international et universel de l’enfance. Mais moi je me suis créé ma propre enfance. Je n’avais jamais lu de conte jusqu’à maintenant car j’en lis beaucoup pour mon fils. Mais je découvre les contes aujourd’hui et je découvre aussi une partie de mon travail que j’ignorais. Je n’ai jamais voulu m’inspirer de l’histoire d’un conte, c’est juste une enfance que je me suis construite.

D’un point de vue esthétique, on dirait que les personnages que vous créez vous accompagnent, qu’ils sont des sortes de bienfaiteurs…

Tout à fait, c’est exactement ça.

Œuvre de Marlène Mocquet – Photo : Thibault Loucheux-Legendre / Snobinart

Vous avez parlé du conte que vous découvrez aujourd’hui, mais est-ce qu’il existe d’autres références, notamment artistiques, qui ont pu compter pour la construction de vos œuvres ? Des peintres ? Des sculpteurs ?…

Pour vous dire vraiment la vérité, Paul Rebeyrolle m’a en effet influencé et m’a surtout donné des clefs de liberté. Parce que c’est très charnel, bestial même… Maintenant l’univers n’est pas le même. Lui il était engagé politiquement, ce qui n’est pas vraiment mon cas, même si j’ai un message à défendre bien sûr. En tout cas je ne suis pas engagée politiquement. Quand on crée on a toujours un message à transmettre, mais je n’ai pas ma carte d’électeur de gauche comme le faisait Paul Rebeyrolle. Il y a aussi Robert Malaval qui m’a bien inspirée, avec cette part de liberté et de « tout est possible ». Il n’a jamais été fixé sur une caricature de son propre travail en quelque sorte. Ce sont des choses que j’aime, des vrais artistes… En fait, je préfère une mauvaise peinture, qu’une bonne peinture avec des acquis déjà bien huilés. Un artiste se doit de chercher toute sa vie.

Montpellier est une ville que vous connaissez bien grâce aux expositions qui ont mis en valeur votre travail. Il y a l’œuvre pérenne Longue-vue, mais aussi une présence dans Contre Nature à la Panacée, Immortelle au Mo.Co… C’est une ville qui vous inspire ?

J’adore cette ville. Elle ne m’inspire pas spécialement, mais comme je prends peu de vacances, j’ai toujours l’impression d’être en vacances quand je viens ici, même quand je travaille. Elle est tellement à échelle humaine, tout est à proximité, tout est facile… Montpellier, c’est un bol d’air. Donc c’est une ville qui ne m’inspire pas mais qui me ressource, et c’est aussi très important de vivre des moments comme ça dans le travail.

En regardant Longue-vue tout à l’heure, c’était une redécouverte. J’ai eu l’impression de découvrir des détails que je n’avais jamais vus, comme si l’œuvre avait bougé, qu’elle était vivante… Peut-être change- t-elle en fonction de l’humeur dans laquelle on est ? Peut-être est-ce lié aux symboles que vous placez dans vos œuvres ?

C’est pas du tout une intention de ma part, je pense que c’est l’énergie que je mets dedans qui fait que l’œuvre bouge en fonction du moment, des états dans lesquels on peut être… Il y a des choses qu’on ne va pas voir un jour et qu’on ne verra que dans un an. L’œuvre vit, en fait.

Également dans : Snobinart N°16
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Par Thibault Loucheux-Legendre Rédacteur en chef / Critique d'art
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Après avoir étudié l'histoire et le cinéma, Thibault Loucheux-Legendre a travaillé au sein de différentes rédactions avant de lancer Snobinart et de se spécialiser dans la critique d'art contemporain. Il est également l'auteur de plusieurs romans. 06 71 06 16 43 / thibault.loucheux@snobinart.fr
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