Marc Stammegna : « César a été l’homme-orchestre de la sculpture »

Après avoir étudié l’art, Marc Stammegna a été restaurateur de tableaux, puis un marchand d’art brillant. Spécialiste de Monticelli, il a également côtoyé les artistes du Nouveau Réalisme, dont César, marseillais comme lui. Commissaire de "César & Chabaud, deux artistes en liberté", il nous parle de cette exposition et apporte son regard sur le sculpteur César protagoniste du Nouveau Réalisme et « homme-orchestre de la sculpture ».

Thibault Loucheux-Legendre
Thibault Loucheux-Legendre  - Rédacteur en chef / Critique d'art
12 mn de lecture

Vous avez souhaité réaliser une exposition avec César et Chabaud, pourquoi ce parallèle entre deux artistes différents ?

Pour deux raisons. La première c’est qu’ils sont tous les deux de la région. César est marseillais, c’est pas si loin que ça. Chabaud est né à Nîmes et a donné son nom à un magnifique musée à Graveson. Et la deuxième raison est une décision que nous avons prise avec le maire d’Uzès Jean-Luc Chapon. Nous avons maintenant des rapports d’amitié en-dehors des rapports de culture et nous avons décidé d’intercaler, c’est- à-dire de mettre un sculpteur et d’animer les murs. Face à César, il fallait quelqu’un de très costaud, de très fort pour son travail, qui soit capable d’imposer autant. Quand on regarde l’exposition, l’un ne tue pas l’autre. On peut les dissocier sans que l’un n’écrase l’autre ou sans dire non plus que l’un a plus ou moins l’intérêt que l’autre. Si on regarde le centaure de César à côté du nu de Chabaud, on peut les imaginer n’importe où dans le monde, que ce soit dans une villa à Miami, dans un appartement à Londres… Ils peuvent s’entendre n’importe où, bien que César soit né en 1921 et Chabaud en 1882. Mais cela importe peu, ils sont tellement forts… Ils ont évolué toute leur vie, César particulièrement car il a été l’homme-orchestre de la sculpture. Il a travaillé aussi bien le bronze, le marbre, le polystyrène, l’or pour les bijoux, le carton, le fer… Tous les matériaux étaient bons et il arrivait à en tirer plus que la quintessence. Si vous avez vu l’expansion de marbre qui est dans l’exposition, quand on voit qu’en 1968 il fait ça… C’est un artiste plus que complet ! Et les compressions ! Combien de fois il en a jeté des milliers ! Alors on a l’impression que c’est facile… mais non ! Si on regarde la compression Segafredo, elle est équilibrée sur la largeur, sur la hauteur… Le nombre d’or est respecté avec les boîtes de conserve avec les noms… Vous voyez tout est pensé ! César pensait !

Vous avez eu l’occasion de rencontrer César, que gardez-vous de ces rencontres ?

Oui, on s’entendait très bien, avec quelques années d’écart quand même (rire). On était marseillais tous les deux, il avait ce côté très jovial, très provençal, très ouvert… mais il pensait sans arrêt au boulot. C’est pour ça qu’on s’est très bien entendu. J’ai cette passion pour l’art, pour l’histoire de l’art… alors son contact était plus facile, il avait aussi un écho, comme moi j’avais un écho d’un sculpteur. Je le regardais au travail, je le voyais agir… et même penser, parce que d’un coup il vous sortait une idée et ça voulait dire qu’il avait trouvé. Il le disait d’ailleurs : « mes mains travaillent avant mon cerveau ». Il ramassait les morceaux de ferraille et d’un coup toc ! L’idée ! Mais ses mains avaient travaillé avant parce qu’il avait ramassé les morceaux en se disant qu’il allait en faire quelque chose. C’est pas quelqu’un qui à l’inverse se disait « je vais faire ça » pour ensuite chercher les matériaux. Je vais vous raconter une anecdote. César avait le syndrome de l’argent parce qu’il était issu d’une famille très pauvre… et il ne sortait jamais un sou pour le café, pour rien ! Mais il avait une autre générosité.Unjourilmedit:«Petit!Ilyaun nouveau chef au Lutetia, qu’est-ce que tu en penses ? », alors je me dit on va manger au Lutetia ! On y a été, évidemment il n’avait rien sorti du tout… Mais quand on est rentré il m’a dit de faire le tour de l’atelier. C’est toujours magique, moi qui avais fait de la restauration de tableau, j’adorais voir ce qu’il se passe en amont. Au bout de dix minutes il redescend avec deux feuilles de dessin et sur chacune il y avait une poulette. Il m’a dit « Tiens ! Ramène-les à Marseille, ça leur fera plaisir ! ». Il n’offrait pas un café, mais il avait cette générosité-là. Il fallait savoir le prendre, il avait parfois ce caractère d’un artiste qui a réussi, comme beaucoup. Mais c’était quelqu’un qui était adorable.


C’était un artiste, comme les autres artistes du Nouveau Réalisme, qui était dans l’instinct ?

Complètement dans l’instinct. Il avait une qualité exceptionnelle, les autres aussi, on l’oublie un peu, c’est le dessin, l’histoire de l’art… Aujourd’hui, il n’y a jamais eu autant d’artistes dans le monde parce qu’on n’a plus besoin de savoir dessiner. On peut acheter deux bombes et on peut devenir un grand artiste ou s’instituer artiste, donc on n’a pas besoin… Ce qui est dommage d’ailleurs, mais vous verrez que dans maximum dix ans, le dessin va revenir. Regardez aux États-Unis, on commence à refaire de l’hyperréalisme, on commence à revenir là-dessus… Les artistes du Nouveau Réalisme, ils savaient tous dessiner. Quand on voit les sculptures de César, par exemple le centaure de l’exposition, il est équilibré, bien dessiné… Il est à la César mais c’est un vrai centaure. On ne peut pas dire qu’il est mal fait ou qu’il a un déséquilibre. Donc ils savaient tous dessiner et en même temps c’est un peu comme le mouvement Fauve. Nos artistes Fauve comme Matisse, Derain… tous ces gens-là, avaient suivi les cours d’un des plus grands symbolistes de tous les temps, Gustave Moreau. Il leur avait appris à dessiner et après ils se sont libérés. Avec les Nouveaux Réalistes c’est pareil. Nos artistes sont excellents parce qu’il y a toujours une génération nouvelle qui arrive et qui avance, mais il faut un peu plus se rapprocher du dessin. On l’oublie un peu.

Marc Stammegna avec « Expansion en marbre de carre » (1968) de César – Photo : Peter Avondo / Snobinart

On se rend compte que les artistes du Nouveau Réalisme sont beaucoup exposés cet été (César à Uzès, les collections à Carré d’art à Nîmes, Martial Raysse à Nîmes et Sète…), comment expliquez-vous cela ?

Régulièrement ces artistes sont exposés. Ils étaient des artistes excellents, ils ont marqué leur temps. César avec tous ses amis de l’école de Nice… les héritiers de Klein… avec Arman, Ben… ils furent tous reconnus très vite. Après il y a ce fameux phénomène de balancier, on trouve autre chose, comme le street art ou d’autres courants artistiques… C’est pour cela que des fois c’est un peu reconnu et puis hop ! Ça revient, on se souvient qu’ils sont tous excellents. De toute façon, le tamis de l’histoire fait que si les artistes sont moins bons, ils disparaissent assez rapidement des parties muséales, des collectionneurs… On le voit assez bien avec les impressionnistes ou les fauves, il y avait des milliers d’artistes et il reste qu’une cinquantaine de peintres que tout le monde connaît.

Quel est l’héritage de ces artistes aujourd’hui ?

Malheureusement les États-Unis ont récupéré beaucoup de choses, et aujourd’hui les artistes américains se servent de ce qu’il s’est passé en Europe et surtout en France. Regardez, Hartung a initié pas mal d’artistes et aujourd’hui on redécouvre Hartung ! Les Américains ont absorbé tout ça et le ressortent. Vous avez des artistes américains qui font des compressions et certains vendent plus cher que César !

Vous êtes marchand d’art au départ…

Oui complètement ! Enfin c’est-à-dire… J’ai fait les Beaux-Arts, j’ai fait Histoire de l’art, j’ai fait onze ans de restauration de tableaux… Donc j’ai essayé de comprendre au mieux la peinture et l’histoire de l’art. Après je me suis lancé dans le commerce et je me suis passionné. J’ai abandonné la restauration de tableaux parce que je ne suis pas patient (rire).

En tant que marchand d’art, est-ce que vous pouvez nous dire si les œuvres de César et des autres artistes du Nouveau Réalisme ou de l’école de Nice sont encore aujourd’hui très recherchées ?

Oui, il y a des collectionneurs pour tout de toute façon. Mais il y a de plus en plus de collectionneurs et même si ça représente de l’argent, ce n’est pas très cher par rapport à ce qui se fait aux États-Unis. Et là nous sommes avec des artistes avec de véritables racines qui plaisent énormément aux collectionneurs. Il y a un exemple assez extraordinaire, il y a quelques années il y avait eu un documentaire sur un collectionneur de Rembrandt, mais de vrais tableaux de Rembrandt, parce qu’il y en a quand même un certain nombre assez douteux… Et avec son épouse, ils ont dix-neuf Rembrandt qu’ils n’accrochent pas parce qu’ils les prêtent dans les musées. Dans l’interview, ils disaient qu’avec la mode et les phénomènes de besoin de s’identifier à une culture, et bien dans la même année, ils ont acheté deux Rembrandt pour le prix d’un Warhol. C’est pour ça, il y a des collectionneurs pour tout, et à un moment donné tout est remis à plat ! Je pense que Warhol continuera, mais vous savez, même les arbres ne vont pas jusqu’au ciel ! Ça va se tasser et il va y avoir de nouvelles choses sur le marché. Les excellentes pièces resteront et ça fera partie de l’histoire de sa génération, un des grands de sa génération.

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Par Thibault Loucheux-Legendre Rédacteur en chef / Critique d'art
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Après avoir étudié l'histoire et le cinéma, Thibault Loucheux-Legendre a travaillé au sein de différentes rédactions avant de lancer Snobinart et de se spécialiser dans la critique d'art contemporain. Il est également l'auteur de plusieurs romans.
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