Les fleurs hybrides d’Elsa Sahal investissent la Galerie Papillon

La Galerie Papillon présente « Les vases sont debout, les potiches ont attrapé des jambes » d'Elsa Sahal. Cette exposition immersive plonge le visiteur dans l'univers de l'artiste. Cette dernière poursuit son exploration des richesses de la céramique tout en invitant le spectateur à renverser son regard sur le corps.

Thibault Loucheux-Legendre
Thibault Loucheux-Legendre  - Rédacteur en chef / Critique d'art
5 mn de lecture

La première fois que j’ai vu une œuvre d’Elsa Sahal c’était une fontaine de seins surplombés d’une vulve qui éclaboussait le grand patio ombragé de la Panacée. Cette œuvre intitulée Vénus polymathe jouissante (2019) avait été placée dans l’institution montpelliéraine à l’occasion de deux expositions consacrées à Marilyn Minter et Betty Tompkins durant l’été 2021. Parfaitement adaptée au bassin de la Panacée, beaucoup militaient à l’époque pour que la sculpture garde cette place qui lui allait si bien… Malheureusement, l’œuvre ne fut pas conservée après la double exposition. Le retour en force de la céramique ; dont Elsa Sahal a joué un rôle indéniable en compagnie d’une génération de plasticiens talentueux ; m’a offert d’autres opportunités de découvrir le travail de l’artiste, une nouvelle fois à la Panacée à l’occasion de Contre-Nature et pour Toucher Terre, l’Art de la sculpture céramique à la Fondation Villa Datris en 2022. 

Trois ans plus tard, c’est en passant dans la rue Chapon, plus précisément dans la Galerie Papillon, qu’une nouvelle rencontre avec les œuvres d’Elsa Sahal s’est présentée, à l’occasion de l’exposition Les vases sont debout, les potiches ont attrapé des jambes. Voilà un titre d’exposition qui s’inscrit dans la tradition des longs intitulés tant appréciés en France. Cette phrase tirée des Guérillères de Moniq Wittig, Elsa Sahal l’a entendue alors qu’elle était en train de faire des vases en forme de femmes avec des fleurs-seins à l’intérieur comme elle l’explique ici : « Cette coïncidence m’a tellement surprise que j’ai choisi ce titre pour lui rendre hommage. Ça faisait tellement longtemps que je faisais de la céramique et qu’on me disait « ah c’est de la poterie, c’est de la vaisselle. » Récemment, on a enfin compris que la céramique pouvait être de la sculpture. C’était le moment de se saisir du thème du contenant et de le faire marcher. »

A l’image de la peinture, la céramique a longtemps été expulsée des institutions, avant de faire un retour remarqué ces dernières années, interrogeant les artistes sur des questions philosophiques autour de la différenciation et le liens entre art et artisanat et les amenant à malmener la terre pour explorer toutes ses richesses. Il y a quelque chose de charnel dans la pratique de la céramique, c’est la modélisation et la transformation d’un corps par un autre qui se déploie durant ce long et rigoureux processus de création. En poussant la réflexion plus loin sur ce renouveau, on s’aperçoit qu’un certain nombre d’artistes contemporains, notamment des femmes, développent des formes et couleurs vivantes, organiques, hybrides, comme peuvent le faire Claire Lindner ou Mathilde Sauce… Elsa Sahal ne fait pas exception en rapprochant ses pièces au plus près du vivant. Chez cette dernière, on reconnaît moins le végétal que le corps humain, bien que cette exposition à la Galerie Papillon soit consacrée aux vases et aux fleurs. Ici, les végétaux et leur contenant s’affirment comme une exploration de la féminité, empruntant des éléments et des courbes du corps de la femme. Ces représentations visent à porter un regard différent sur le corps de la femme, trop souvent montré comme objet de désir et de fertilité. Elles hésitent alors entre sensualité et monstruosité, entre l’inquiétude et la joie, la douceur des couleurs s’opposant à l’hybridation… à l’image de la céramique qui partage aussi deux qualités antagonistes : une fragilité face aux chocs et une force qui résiste au temps.

Enfin un mot sur la scénographie immersive particulièrement réussie qui nous plonge dans l’univers de l’artiste. Ses vases et ses fleurs se déploient dans tout l’espace de la galerie, invitant les visiteurs à déambuler au milieu des créations, comme une procession.

Les vases sont debout, les potiches ont attrapé des jambes
Elsa Sahal
Galerie Papillon (Paris)
Jusqu’au 17 mai 2025

Lire + de
Partager cet article
Avatar photo
Par Thibault Loucheux-Legendre Rédacteur en chef / Critique d'art
Suivre :
Après avoir étudié l'histoire et le cinéma, Thibault Loucheux-Legendre a travaillé au sein de différentes rédactions avant de lancer Snobinart et de se spécialiser dans la critique d'art contemporain. Il est également l'auteur de plusieurs romans. 06 71 06 16 43 / thibault.loucheux@snobinart.fr
Laisser un commentaire

Abonnez-vous au magazine