Fabrice Caro : « Je me sens beaucoup plus influencé par le cinéma que par la littérature »

Depuis 2018, Fabrice Caro tient un rythme quasi-nothombiesque avec cinq livres en six ans. Malgré ces sorties rapprochées, chacun de ses livres est un véritable événement littéraire. Déjà devenu un auteur incontournable dans le monde de la bande dessinée grâce notamment à son connu Zaï zaï zaï zaï (2015), il fait désormais partie intégrante du paysage littéraire français. Pourtant, contrairement à beaucoup d’écrivains sévissant dans l’hexagone, Fabrice Caro a fait le choix de la différence. Loin de l’ambiance snob parisienne (qui l’adore pourtant), l’auteur vit à côté de Montpellier, transmettant avec bonheur sa passion pour le burlesque à travers ses créations. À l’occasion de cet entretien, Fabrice Caro nous présente son dernier livre Journal d’un scénario publié aux éditions Gallimard. L’auteur nous parle notamment de deux de ses passions : la littérature et le cinéma.

Thibault Loucheux-Legendre  - Rédacteur en chef / Critique d'art
8 mn de lecture
© Editions Gallimard -Francesca Mantovani

Vous sortez un nouveau roman intitulé Journal d’un scénario aux éditions Gallimard, pouvez-vous nous donner le pitch ?

Je ne sais pas trop jusqu’où je peux en parler parce que le principe c’est une montée crescendo, une histoire qui dégénère un petit peu… mais en gros c’est un scénariste qui a un projet de scénario pour un film d’auteur, un peu intello, noir et blanc, avec Louis Garrel et Mélanie Thierry… Vraiment LE film d’auteur quoi. Le film intéresse un producteur et il est ravi. Mais peu à peu, le producteur lui demande de faire des petites concessions et de compromis en compromis comme ça il va voir son projet glisser un petit peu et lui échapper .

Dans ce livre, vous abordez un autre art : le cinéma. J’ai toujours pensé que vos livres étaient plus influencés par le cinéma que par la littérature. On pense à Woody Allen, aux Monthy Pyton… Est-ce vrai ? Quelles sont vos influences cinématographiques ?

Je crois que vous avez répondu à la question (rire). Je suis tout à fait d’accord, je me sens beaucoup plus influencé par le cinéma que par la littérature. J’essaye quand même de faire des livres un petit peu « littéraires ». J’aime bien l’écrit pour l’écrit aussi. J’aime bien soigner le style. Mais c’est vrai que mes influences sont plutôt cinématographiques et et notamment Woody Allen. Pour moi c’est une espèce de… il parvient à faire de la comédie avec des sujets un peu graves et j’aime bien ce ton-là à mi-chemin entre la comédie et la tragédie. C’est vraiment parler de choses profondes avec un ton léger.


Vous avez été touché de plus ou moins près par le cinéma avec des adaptations de deux de vos œuvres. Comment avez-vous trouvé ces films ?

Faut que je sois diplomate et que je dise que je les ai trouvés super (rire). Non, je les ai trouvé chouettes, chacun dans des styles différents. J’aime bien l’idée d’être un peu surpris. Dans les deux cas, quand ils sont venus me chercher, que ce soit Laurent Tirard ou François Desagnat, ils m’ont demandé si je ne voulais pas participer d’une façon ou d’une autre et je leur ai dit non. J’avais envie d’être un peu surpris. Quitte à être adapté, je préfère être trahi ou que l’œuvre soit un peu tordue… c’est pas très intéressant de rester ultra fidèle au livre original. En tout cas j’ai beaucoup aimé. Dans les deux cas c’était des exercices assez casse-gueules, parce que le premier c’était un repas de famille et le deuxième c’était un truc quand même très absurde sur le papier… Et dans les deux cas je trouve que c’est assez réussi ! Après j’ai eu des retours un peu divers, mais personnellement j’aibeaucoup aimé les deux films.

© Editions Gallimard – Francesca Mantovani

Beaucoup d’écrivains ont succombé à la tentation de faire leur propre film… Vous seriez tenté par la réalisation ?

Alors la réalisation pas du tout ! Des producteurs m’ont déjà proposé en disant qu’ils étaient partants si je souhaitais faire mon propre film. Mais c’est quelque chose que je ne sais pas faire. Autant le scénario de film m’intéresse beaucoup parce que ça reste de l’écriture et que ça reste quelque chosed’assez solitaire. Tout ce que je fais ce sont des pratiques assez solitaires, les livres, les BD… Je décide de tout de A à Z. Là le cinéma c’est autre chose, il y a une grosse équipe, on est censé diriger pas mal de gens… C’est vraiment quelque chose que je ne sais pas faire. Je suis incapable de dire à quelqu’un « maintenant tu vas faire ça… ». C’est pas du tout dans ma nature. Ne serait-ce pour la direction d’acteurs… La réalisation je pense que je ne pourrai jamais faire.

Justement, on entre un peu dans votre livre. Le personnage de Boris subit le fait que le cinéma soit un art qui dépend beaucoup des autres. Des changements apparaissent avec la présence du producteur et de tous ceux qui gravitent autour du film. Cela fait largement évoluer le film durant son processus de création. Il est amusant de voir que vous choisissez une pratique solitaire (l’écriture) pour en aborder une qui est collective. Est-ce que vos livres peuvent aussi évoluer par la présence d’autrui durant son élaboration ?

Oui bien sûr, mais un petit peu. Mais dans un film il y a tellement de paramètres extérieurs que les choses peuvent rapidement vous échapper. Il y a toujours des intervenants… on peut très vite se perdre. Alors que j’adore le livre parce que je suis responsable à 99% de ce qui se retrouve sur le papier au final. J’ai pas d’intermédiaire. Après bien sûr il y a l’éditeur qui donne son avis, on l’écoute ou pas… J’ai une grande liberté mais en général leséditeurs sont de bon conseil, donc on discute et on s’écoute. Il y a l’intervention de l’éditeur, aussi des tous premiers lecteurs… Mais je reste quand même le seul décideur. Si je veux que le livre soit comme ça, il sera comme ça. Pour moi c’est le grand luxe parce qu’on peut travailler tout seul sans trop déjouer de sa trajectoire. Mais je reste attentif aux conseils de mon éditeur.

Vous avez un statut un peu à part dans le milieu littéraire. Avec le succès de vos livres, vos bandes dessinées et des deux adaptations, on aurait pu penser que cette attirance des lecteurs et cinéphiles pour l’absurde prendrait plus de place dans le paysage créatif. Pourtant c’est un genre qui s’est toujours plus développé chez les anglo-saxons. Comment expliquez- vous cela ?

Avant j’étais persuadé comme vous que l’humour absurde n’était pas du tout dans la culture française. Quand Zaï zaï zaï zaï est sorti j’étais persuadé d’en vendre une dizaine, que ça allait plaire à une petite niche… Mais le succès de Zaï zaï zaï zaï m’a fait un peu revoir cette position. Je me dis qu’en France on n’est pas qu’adepte de Bigard. C’est peut-être pas dans la culture mais il y a un public pour l’absurde. Quand on voit Dupieux… Chabat et les Nuls… Ils ont un public quand même. Soit ça se développe, soit ce petit public a toujours existé. Je vois en dédicaces, le public peut aller plus loin que ce qu’on croit et il a une lecture plus éclairée que ce qu’on pense aussi.

Avez-vous d’autres projets ? Romans ? BD ?

Roman, oui je suis reparti sur un truc. En BD je suis parti sur un petit carnet autobiographique pour mon premier éditeur La Cafetière qui sortira le mois prochain. Et l’ironie du truc c’est que je suis en ce moment aussi sur un scénario de film.

Thibault Loucheux-Legendre

Après avoir étudié l'histoire et le cinéma, Thibault Loucheux-Legendre a travaillé au sein de différentes rédactions avant de lancer Snobinart et de se spécialiser dans la critique d'art contemporain. Il est également l'auteur de plusieurs romans.

Également dans : Snobinart N°14
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Par Thibault Loucheux-Legendre Rédacteur en chef / Critique d'art
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