Une servante éclaire faiblement le décor que l’on imagine déjà imposant dans la pénombre, tandis qu’un miroir discret reflète négligemment un public venu assister à ce qui pourrait être sa propre histoire. Ce n’est que quand le plateau s’allume que l’on découvre de hauts murs aux couleurs et matières disparates, délimitant un espace de jeu gigantesque. Ici une mezzanine, des toilettes dans une cabane, des établis et des étagères de contremaître d’usine, là les douches d’un vestiaire, un frigo, quelques chaises en formica… Pas de doute, nous avons voyagé cinquante ans en arrière.
Moteur, action. Dans cette adaptation d’un feuilleton télé (ce qui, déjà, est un pari), Julie Deliquet place sa pièce dans ce qui pourrait être le plateau de tournage d’une sitcom américaine. Au-delà des vitres de l’entrepôt, à l’endroit où doit se trouver l’extérieur, on laisse même à la vue du public les éclairages qui font la lumière du jour ou de la nuit. Cette pièce n’est pas seulement une adaptation, c’est tout un hommage rendu au cinéma de Fassbinder. Dans ce studio sur mesure, on imagine sans mal une grue qui viendrait capter les scènes et les rires des spectateurs.
« Vous savez comme moi que la télévision manipule tout. »
Le travail cinématographique est parfaitement mené. La scénographie, la mise en scène, les lumières, tout contribue à accompagner le spectateur vers les points essentiels de l’action qui se déroule. Ce n’est pourtant pas simple lorsqu’on imagine une fresque de plus de trois heures avec toute une flopée de personnages, une multitude de lieux et un entrelacs d’intrigues. Mais la focale se fait naturellement pour le public, et la pièce se suit de bout en bout sans effort.
Il est même impressionnant, satisfaisant aussi, de constater à quel point une véritable communion se crée entre les planches et les gradins. Cinquante ans séparent l’original de l’adaptation, pourtant les spectateurs s’approprient le récit comme si ce demi-siècle ne s’était pas écoulé. En témoigne ce moment particulièrement marquant d’une femme qui se fait battre par son mari, une claque d’une grande violence dont l’écho se poursuit par une réaction horrifiée du public. En témoigne aussi un rire intelligent, doux, tendre, régulièrement déclenché par des situations banales qui nous laissent tout le loisir de nous identifier.
Car le constat est sans appel en sortie de salle. Les avis convergent. « Rien n’a changé », se confient les spectateurs entre eux. Bien sûr, la place des femmes dans la société et la lutte contre les violences familiales ont connu de grandes évolutions, mais ce sont des combats qui doivent encore faire partie de notre quotidien. Bien sûr, les machines ont depuis longtemps remplacé les ouvriers, mais les questions d’égalité, de reconnaissance et de défense des droits au travail reviennent toujours avec les mêmes enjeux.
« Tu sais très bien que tout ça, c’est purement économique. L’aspect humain, ils en ont rien à foutre. »
Et tous ces éléments font partie d’un ensemble, celui du quotidien d’une famille qui s’unit et se délite. Huit heures ne font pas un jour s’affranchit de la grande histoire pour se concentrer sur la petite. Ce qui se passe dans le monde ne changerait rien à ce qui se déroule sur scène. C’est une tranche de vie, aussi singulière qu’universelle.
Une petite histoire qui, en dépit du lourd tribut qu’elle paie envers la société, laisse poindre un optimisme permanent. L’espoir d’une certaine liberté, d’une émancipation, d’un bonheur nouveau que l’on peut atteindre si l’on s’en donne les moyens. À l’image de ce pays libéral qui, dans l’esprit de ses ouvriers, se rêve communiste.
Qu’on ne vienne plus me dire que l’on ne va pas au théâtre pour y voir une pièce de plusieurs heures lorsqu’on passe des journées entières à regarder des programmes de piètre qualité sur les plateformes de streaming. Julie Deliquet et son équipe nous servent un plan séquence sans temps mort qui nous re