Avec « Points de rupture », Françoise Bloch défigure la start-up nation

Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
4 mn de lecture

Pour sa réouverture, le Théâtre des 13 Vents à Montpellier accueille la dernière création de la metteuse en scène Françoise Bloch, « Points de rupture ». Dans ce spectacle qui joue dangereusement avec la frontière entre la réalité et la fiction, elle dépeint, décrie et interroge le monde actuel du travail avec humour.

Depuis longtemps attirée par l’univers du documentaire, Françoise Bloch aime travailler sur cette mince délimitation qui sépare la vie réelle de la mise en scène. Et pour cette nouvelle pièce, y avait-il plus pertinent que de s’intéresser au monde de l’entreprise, tourmenté par l’esprit start-up qui semble vouloir s’insinuer dans tous les secteurs d’activité ? Il faut dire que cette thématique s’y prête tout particulièrement, puisqu’il s’agit justement de remettre en question cette représentation, ce rôle que nous jouons, ces masques que nous portons tous dans notre vie professionnelle.

Plus précisément, Points de rupture s’attarde non pas sur l’évolution d’un individu au sein de son entreprise, mais sur cet instant fulgurant, ces quelques secondes de décrochage où tout finit par éclater parce qu’on a atteint les limites du supportable. Ces déraillements soudains donnent bien sûr lieu à des situations étonnantes, drôles et effrayantes, mais très réalistes aussi, souvent dans l’excès parce qu’on est au théâtre, et pourtant… Pour quelle raison ne pourrait-il pas en être de même dans la vraie vie ?

L’intelligence de l’écriture réside dans la justesse de chacune des saynètes, dans la singularité de leur déroulement et dans l’universalité de leur portée. Et puis il y a l’art qui finit toujours par désamorcer les situations, par le biais de citations faussées et surjouées qui apportent un décalage bienvenu entre l’entrepreneuriat libéral et la culture salvatrice. Dans ce chaos organisé règne malgré tout une énergie commune, une obligation de poursuivre parce que les signes semblent montrer qu’on n’a pas d’autre choix.


Le spectacle vivant, d’ailleurs, n’est pas épargné par la mise en scène et fait l’objet d’une autocritique assez réjouissante. Là où on fait l’apologie du dynamisme, dans l’entreprise comme sur les planches, il est bon de se poser parfois, rarement, de prendre son temps quand les comédiens eux-mêmes s’interrogent sur le sens de ce qu’ils font et sur la pertinence de leurs propos. On sort de la salle sans solution, soit, mais avec l’agréable sensation d’avoir exprimé ce qui devait l’être, dans une société aveuglée par les chiffres et les résultats.

Points de rupture est un spectacle pragmatique, hilarant et cathartique, à découvrir jusqu’au 24 septembre au Théâtre des 13 Vents.

Photo : © Antonio Gomez Garcia

ECRITURE
ELENA DORATIOTTO, COLLECTIVE
AVEC
ELENA DORATIOTTO, JULES PUIBARAUD, LEA ROMAGNY, AYMERIC TRIONFO
FAUSSAIRES SHAKESPEARIENS
FRANCOISE BLOCH, JULES PUIBARAUD, OLIVIER SACCOMANO
ASSISTANAT A LA MISE EN SCENE
CECILE LECUYER, LOUISE D’OSTUNI
COLLABORATION ARTISTIQUE ET DRAMATURGIE VIDEO
YAEL STEINMANN
SCENOGRAPHIE ET COSTUMES
KATRIJN BAETEN, SASKIA LOUWAARD
LUMIERES
JEAN-JACQUES DENEMOUSTIER
IMPROVISATION MUSICALE
ALBERTO DI LENA

Peter Avondo

Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse.

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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