Entretien avec Jordan Yuste : « L’envie de bien faire à manger »

Thibault Loucheux-Legendre  - Rédacteur en chef / Critique d'art
10 mn de lecture
Le chef Jordan Yuste (photo : Peter Avondo)

Pourriez-vous nous raconter votre parcours ?

Je suis issu d’une reconversion professionnelle, j’ai passé mon CAP à Sète en 2016. A la suite de ça j’ai travaillé un an au Côté Mas, un restaurant gastronomique à Montagnac. J’ai eu la chance d’y rencontrer Jérôme Nutile, chef étoilé et meilleur ouvrier de France. J’ai ensuite eu un poste de pâtissier au restaurant les Palmiers à Mèze pour peaufiner l’aspect sucré, puis le Mas à Mèze toujours où l’on faisait des tapas de coquillages. Puis l’aventure l’Arrivage est arrivée, j’ai acheté en décembre 2016 et j’ai ouvert le 21 avril 2017 après des travaux. J’ai eu la chance d’être élu table moderne en fooding en 2018, puis jeune talent du Gault & Millau en 2019. Il y a aussi eu la participation à l’émission Top Chef, qui m’a permis de me développer plus rapidement et d’avoir une certaine maturité spontanée dans le professionnel. Avant je n’avais pas forcément le courage d’établir des choses… J’ai la chance aussi d’avoir une équipe solide, ce qui m’a permis de développer une street food et une bistronomie à l’image de ce que fait l’Arrivage

Pourquoi avez-vous pris le chemin de la cuisine comme reconversion ? C’était une évidence pour vous ?

Je ne sais pas si c’est une évidence, ce que je sais c’est que j’ai eu envie de faire mieux à manger. J’ai toujours aimé cuisiné, un jour j’étais dans mon camion et j’ai entendu une publicité qui disait que le CFA de Sète recrutait et je me suis dit qu’il fallait y aller. Après le pourquoi du comment je sais pas… Je ne saurai pas dire… Peut-être que… Je mangeais beaucoup surgelé quand j’étais petit. Mes parents étaient commerçants et faisaient très peu à manger. Peut-être que c’est la frustration de ne pas avoir eu un côté famille dans laquelle on fait des bons plats, où l’on se réunit le dimanche… La cuisine de grand-mère je ne la connais pas forcément à travers ma famille. Je ne sais pas vraiment ce qui a été l’élément déclencheur. Certainement une envie, l’envie de bien faire à manger. 


Les restaurants ont rouvert le 19 mai dernier après plusieurs mois de fermeture. Quel regard portez-vous sur cette période qui a impacté le secteur de la restauration ?

Déjà l’abandon de l’Etat et du gouvernement. Je parle de mon domaine mais il y en a beaucoup d’autres qui ont été très impactés aussi, mais on a été un secteur d’activité qui a été abandonné. Ce n’est pas quelques primes par-ci par-là qui nous ont soutenues, il fallait aussi faire du cas par cas. Je me suis retrouvé seul face à moi-même, j’ai travaillé comme un acharné pour essayer de limiter les pertes. C’est une période que je n’ai pas du tout envie de revivre, très compliquée, une adaptation à un nouveau métier où l’on doit faire de la cuisine qui doit être réchauffée et mangée dans X temps… alors que je fais une cuisine qui est éphémère, qui se mange à un instant T. On est toujours dans le flou parce qu’on ne sait toujours pas où l’on va, si on va continuer à bosser sereinement ou pas. Je pourrai avoir des mots beaucoup plus durs mais ça ne servirait à rien. J’espère que le plus dur est derrière nous.

Jordan Yuste dans la cuisine de « l’Arrivage », du « French Farmer » et de « Bleu et Cochon » (photo : Peter Avondo)

Malgré ce contexte vous avez trouvé la force de vous projeter et d’avoir de nouveaux projets…

Pour être honnête je n’ai pas vraiment eu le choix. Il y a dix-huit mois j’ai lancé le projet d’agrandir la cuisine pour relier trois restaurants. Il y a un an et demi il n’y avait pas de Covid, tous les voyants étaient au vert. Quand vous engagez pas mal d’argent on ne peut plus faire machine arrière. Pendant le Covid il fallait bosser sept jours sur sept de huit heures à minuit, faire les livraisons soi-même avec nos véhicules personnels. C’était pas cool du tout. J’ai trouvé cette force de continuer, mais c’était plus par obligation parce que je n’avais pas le choix. Derrière il y avait la banque qui demandait des échéances, les crédits qui tombaient… J’ai également tenu à honorer mes engagements vis-à-vis des employés que j’avais embauchés juste avant la crise. Pour moi c’était quelque chose de normal de les soutenir parce que sans eux je n’en serai pas là aujourd’hui. Je suis très fier de les avoir avec moi.

Après cette période de fermeture vous avez un nouveau restaurant qui ouvre à côté de l’Arrivage et du French Farmer avec l’idée d’avoir trois restaurants reliés par une seule cuisine.

J’ai effectivement acheté le local d’à côté avec mon meilleur ami et associé. Ça nous a permis de mettre un fourneau central, des barbecues en cuisine… A mon poste je peux gérer l’Arrivage, la street food avec le French Farmer et la bistronomie du Bleu et Cochon parce que je vois tout ce qu’il se passe. J’ai la vue sur les trois salles, sur tous les cuisiniers. On partage un fourneau et nous faisons une cuisine de continuité avec une grande consonance entre les restaurants, les produits sont liés. On essaie de respecter toujours la même trame, que ce soit bon, d’être le plus honnête possible, travailler avec le cœur peu importe le restaurant dans lequel le client décide de manger.

Pouvez-vous nous expliquer le concept de chacun de vos restaurants ?

L’Arrivage c’est une cuisine gastronomique avec un menu à l’aveugle. C’est ma personnalité et mon esprit avec de l’excentricité dans la cuisine, de l’invention, de la douceur… Le French Farmer c’est de la street food gastronomique, on se fait plaisir en réalisant différents sandwichs travaillés dans une multitude de façons. C’est notre côté très funky. Et pour Bleu et Cochon on a décidé de faire que du cochon et du poisson bleu. C’est une grande famille de poissons de Méditerranée et dans le cochon on peut tout travailler, ça laisse place à la création avec un côté cuisine canaille, cuisine de copains, une cuisine beaucoup plus libre.

Vous habitez à Sète, vous choisissez des produits locaux dans votre cuisine, qu’est-ce que ce territoire vous inspire ?

En priorité l’iode, j’adore cuisiner les huitres, je pense que c’est mon produit préféré à travailler et à manger. On a la chance d’être au bord de la Méditerranée, tous les plus grands chefs français rêvent de travailler ces produits. Nous on a la chance d’aller les récupérer à la criée. C’est une belle source d’inspiration, ça laisse place aussi à travailler les produits de différentes façons. Par exemple aujourd’hui à l’Arrivage j’ai travaillé le poisson mais comme une viande, ce qui donne des plats avec de grandes complexités de goût, mais toujours avec une finesse des produits de la mer qui sont moins rustres que les produits de la terre.

Le chef Jordan Yuste dans son restaurant l’Arrivage (photo : Peter Avondo)

Comment vous définiriez le style Jordan Yuste ?

J’aime particulièrement les produits du bassin de Thau, là c’est chez nous ! C’est une cuisine que j’ai envie de mettre en avant. J’aime l’idée de faire une cuisine mer et terre, quand les deux produits vont s’assembler. L’important aussi pour moi c’est de faire une cuisine avec des jus, des sauces… C’est la base d’un bon cuisinier de faire des bons jus et des bonnes sauces, c’est un des piliers de ma cuisine.

Sète à l’air de vous avoir porté chance avec une belle réussite, est-ce que vous avez d’autres projets ici ?

Il y a deux projets en cours. L’un d’eux verra le jour fin 2022 avec une pâtisserie sur Sète. J’ai la chance d’avoir un très bon chef pâtissier, Vivien Moreau, qui a travaillé chez Jérôme Nutile et Georges Blanc. J’ai toujours aimé la pâtisserie, je ne saurai pas dire si je suis plus sucré ou salé. Il y a aussi un autre projet en cours avec un côté très convivial basé sur la mer, mais je vous en dirai un peu plus dans quelque temps.

Recueilli par Thibault Loucheux

Thibault Loucheux-Legendre

Après avoir étudié l'histoire et le cinéma, Thibault Loucheux-Legendre a travaillé au sein de différentes rédactions avant de lancer Snobinart et de se spécialiser dans la critique d'art contemporain. Il est également l'auteur de plusieurs romans.

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Par Thibault Loucheux-Legendre Rédacteur en chef / Critique d'art
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