Pour sa troisième saison à la tête de La Maison danse, Émilie Peluchon ancre plus que jamais le festival uzétien au cœur du territoire. Et pour cause, sans lieu fixe, le CDCN se développe dans toute la cité en investissant des espaces multiples, des cadres verdoyants de la nature proche aux ruelles et places pavées qui serpentent dans la ville. Ces conditions inédites, qui font partie inhérente du projet mené par l’actuelle directrice, invitent par ailleurs à poser un autre regard sur la création contemporaine. De résidences de recherche en réécriture de pièces existantes pour l’extérieur, la danse se déplace elle-même, et le public avec. Retour sur trois propositions de cette édition 2025 ! Fictive, extérieur jour, This is la mort et d’après une histoire vraie.
Fictive, extérieur jour : les perspectives d’Émilie Labédan
Dans son précédent spectacle, Mr. Splitfoot, Émilie Labédan s’amusait à jouer avec les perceptions en travaillant notamment les codes de l’illusion. La boîte noire était alors essentielle aux images recherchées, qui dénotaient déjà une écriture du détail comptant sur l’attention du public. Dans le cadre de la création de sa prochaine pièce, Fictive, la chorégraphe poursuit dans cette direction, mais elle change radicalement de décor.
En résidence à Uzès pendant une semaine, l’artiste a fait de la nature son terrain de jeu, au sein duquel la profondeur et les perspectives alimentent une chorégraphie de l’imperceptible. Mettant à profit les espaces et les distances qui s’offrent à elle, Émilie Labédan se joue des regards, qui en viennent à contempler le cadre autant que les gestes, minimes et lents, des deux interprètes. En cours de création, la pièce à venir promet déjà d’être une ode à l’observation minutieuse… À suivre.
This is la mort : Zoé Lakhnati est un héros comme les autres
Au loin apparaît, montant d’une ruelle tortueuse, une silhouette recouverte d’une armure dorée de chevalier. L’image est presque évidente, tant le costume semble parfaitement convenir au décor. Mais bientôt la carapace de métal tombe pièce par pièce, révélant avec fracas une autre peau, celle d’un super-héros aux muscles saillants, bien qu’ostensiblement factices. D’une couche à l’autre, Zoé Lakhnati multiplie les rôles comme on se raconte des histoires quand on est enfant. D’ailleurs, la performeuse joue à jouer la mort des rôles qu’elle endosse avec beaucoup de malice, en complicité avec les spectateurs comme en s’emparant de cette petite place ornée d’une fontaine devenue son espace.
Zoé Lakhnati se débarrasse tour à tour de ses vêtements les plus contraignants – ceux rappelant l’image commune et virile des héros de tous temps – pour y trouver peu à peu sa propre liberté de mouvement. À mesure qu’elle fait mourir chacune de ses représentations, elle se révèle dans un espace qui semble se rétrécir, devenu presque insuffisant pour contenir toute son énergie. Car sur une bande son qui tient de l’expérimental, loin de toute musicalité manifeste, il s’agit aussi de construire sa propre identité en s’affranchissant des icônes, surtout lorsque celles-ci passent systématiquement par la vision des hommes. C’est tout l’avantage du cadre de cette représentation, qui réinitialise le regard en le déshabituant de la salle close.
d’après une histoire vraie : Christian Rizzo au naturel
En fin de journée, une boule d’énergie s’apprête à éclater tandis que la lumière du jour décline peu à peu. Dans la continuité d’une saison de reprise, douze ans après sa création au Festival d’Avignon, Christian Rizzo propose une version sur mesure de sa pièce d’après une histoire vraie. Au plateau, huit danseurs et deux batteurs mettent leur énergie en commun pour faire voler les traditions et les attendus. Dans un dialogue continu entre les gestes et les percussions, se dessine alors l’image de ces corps masculins qui puisent leur force et leur esthétique dans la complicité qui les lie.
En guise de toile de fond, la vallée de l’Eure qui s’étend par-delà la scène accueille le crépuscule, tandis qu’aucune lumière artificielle ne vient rompre la nature du rituel qui se joue au plateau. Là, les interprètes se réunissent et s’émancipent. Ils évoluent en groupe, en duo ou en solo, puissamment portés par les sonorités des deux batteries qui unissent danseurs et spectateurs dans un même élan. d’après une histoire vraie se tient à l’écart de tout cliché de représentation masculine, travaillant précisément à rendre visible la solidarité de cette troupe et développant, par la même occasion, une chorégraphie qui transcende l’opposition entre écritures classique et contemporaine.
Festival La Maison danse Uzès
CDCN La Maison danse
Du 4 au 8 juin 2025
Fictive, extérieur jour (étape de création)
Conception, chorégraphie Emilie Labédan / Interprétation To’a Serin Tuikalepa, Emilie Labédan / Collaboration plastique Mélina Faka / Design sonore Christophe Ruetsch
This is la mort
Création 2024 Charleroi Danse – HP / La Raffinerie (Bruxelles)
Chorégraphie et interprétation : Zoé Lakhnati / Musique : Macarena Bielski López / Dramaturgie : Antoine Dupuy Larbre / Création costume : Constance Tabourga / Création lumière : Alice Panziera / Regard extérieur et assistanat chorégraphique : Philomène Jander / Avec les voix de Céleste Brunnquell et Suzanne de Baecque
D’après une histoire vraie
Création 2013 Festival d’Avignon
Conception, chorégraphie, scénographie et costumes Christian Rizzo / Interprétation Youness Aboulakoul, Fabien Almakiewicz, Yaïr Barelli, Massimo Fusco en alternance avec Nicolas Fayol, Pep Garrigues, Kerem Gelebek, Filipe Lourenço, Roberto Martínez / À la création Miguel Garcia Llorens / Musique originale et interprétation live Didier Ambact & King Q4 / Création lumière Caty Olive / Arrangements sonores Vanessa Court / Assistante artistique Sophie Laly / Régie générale Jérôme Masson ou Victor Fernandes / Régie lumière Romain Portolan / Régie son Delphine Foussat