« Elizabeth Costello » et « Reminiscencia », des images et des mots

De la Cour d’honneur au Lycée Mistral, le Festival d’Avignon a encore des choses à dire et des images à montrer dans cette dernière semaine de sa 78e édition. Retour sur deux pièces qui mettent les images au coeur de leur écriture : Elizabeth Costello de Krzysztof Warlikowski et Reminiscencia de Malicho Vaca Valenzuela.

Peter Avondo
Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture Vu au Festival d'Avignon
9 mn de lecture

La 78e édition du Festival d’Avignon touche peu à peu à sa fin. Pour autant, les propositions sont encore nombreuses dans la programmation qui investit les lieux emblématiques de l’événement. Sous la chaleur tant redoutée depuis des semaines, les formes se succèdent, mettant à jour ce que la création internationale fait de mieux. À l’occasion de cette dernière semaine, le metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski s’empare de la Cour d’honneur du Palais des papes pendant que le jeune artiste chilien Malicho Vaca Valenzuela s’installe au lycée Mistral. Si le premier cherche au-delà du réel pour produire ses images, le second part précisément des images pour reconstruire le réel. Retour sur Elizabeth Costello, Sept leçons et cinq contes moraux et Reminiscencia.

Elizabeth Costello, le fantasme derrière les mots

Le nom d’Elizabeth Costello n’est pas étranger à Krzysztof Warlikowski. En effet, le metteur en scène n’en est pas à sa première rencontre avec ce personnage créé par J.M. Coetzee. Devenue au fil du temps l’alter ego fictif de l’auteur australien, la figure de cette femme autrice qui parcourt le monde pour y développer son œuvre semble tout bonnement hanter l’artiste polonais, qui la convoque régulièrement dans ses spectacles. Pour cette création 2024, il franchit le pas en lui consacrant une pièce entière. Pendant près de quatre heures, il se plonge ainsi dans l’univers de ce personnage comme une apparition spectrale, dans une confusion générale entre le réel et le roman. Sur scène, Coetzee lui-même semble d’ailleurs ne plus savoir distinguer l’un de l’autre.

Elizabeth Costello, Sept leçons et cinq contes moraux © Magda Hueckel

À grands renforts d’images de scène et de réalisation en direct à l’esthétique particulièrement léchée, Krzysztof Warlikowski s’attarde sur des tableaux visuels forts, abordant certaines des thématiques les plus importantes dans le travail de Coetzee. Il y est question de philosophie ou de littérature qui prennent forme dans des scènes de la vie quotidienne, sans grande théâtralité donc. Pourtant, l’univers que tisse le metteur en scène est empreint d’un certain sens artistique et dramaturgique. Si chacun des tableaux semble figer pour un moment l’espace-temps dans lequel il se place, l’enchaînement de ces séquences révèle, dans la globalité de cette fresque, une recherche scénographique qui joue avec les perceptions.

Car derrière les Sept leçons et cinq contes moraux abordés dans Elizabeth Costello, il est essentiellement question des ponts qui se font entre la réalité et la fiction, entre la création et la créature. Krzysztof Warlikowski ne recule en tout cas devant aucune fantasmagorie pour faire vivre son personnage central et l’univers qui l’entoure, qu’il peuple d’images projetées d’une grande précision et qui provoquent la contemplation. Dans une pièce où la parole est omniprésente, insistant notamment sur l’aspect conférentiel qu’il décline à l’envi, l’artiste polonais rééquilibre sa création par la forme qu’il lui donne et qui attire davantage que le propos lui-même.

Reminiscencia, la mémoire des images

Aux prémices de cette forme scénique qui a vu le jour en 2022, Malicho Vaca Valenzuela n’avait pas l’ambition d’imaginer sa création sur un plateau. Et pour cause, c’est la pandémie mondiale qui est à l’origine de Reminiscencia, qui n’avait pour objectif que d’occuper les interminables journées du confinement. Pour tromper l’ennui, Malicho commence alors à s’intéresser à son quartier, point névralgique de Santiago du Chili, à deux pas de la Place de la Dignité où les révolutions chiliennes trouvent toutes leur origine. À travers ses recherches et ses appels à témoignages, le performeur entendait ainsi raconter la vie et l’implication de son environnement proche dans la dynamique historique et politique de son pays.

Reminiscencia © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

En effet, le caractère de Malicho Vaca Valenzuela s’est forgé au gré des soulèvements qui ont contribué à transformer le visage du Chili au fil des ans. Simple participant à ces événements révolutionnaires puis initiateur de certains d’entre eux, sa jeunesse est marquée par cette place et par les symboles qu’elle représente. Pour partager son récit avec le public, Malicho opte pour la simplicité, avec des outils que nous avons tous utilisés au même moment à travers le monde : un écran, une connexion Internet et un compte Zoom. Ainsi il est capable de voyager virtuellement en restant assis à son bureau, partageant ses anecdotes et ses trouvailles avec les spectateurs qui restent pendus à la sincérité de son regard tandis que les images défilent derrière lui.

Mais Reminiscencia n’est pas seulement l’histoire politique d’un pays. Car si les images, sons et vidéos répertoriés par Malicho conservent à jamais un certain souvenir des révolutions passées, le portrait intime que l’artiste dessine en parallèle est tout aussi touchant. Impliquant presque malgré lui ses grands-parents dans l’écriture de son projet, il finit par concevoir une forme qui, bien que légère en termes de présence scénique, se charge d’une émotion toute particulière. Ici se mêlent l’indignation populaire et l’insouciance amoureuse, l’histoire d’un pays et le récit d’un proche dont la mémoire s’efface. Comme les images d’archives dont il alimente sa réflexion, Malicho Vaca Valenzuela crée ses propres souvenirs avant qu’ils ne disparaissent. Il offre ainsi au public une confession touchante qui se reçoit avec beaucoup de tendresse.


Elizabeth Costello, Sept leçons et cinq contes moraux
Création 2024 – Nowy Teatr Varsvovie
Vu au Festival d’Avignon

Crédits

Avec Mariusz Bonaszewski, Andrzej Chyra, Magdalena Cielecka, Ewa Dałkowska, Bartosz Gelner, Małgorzata Hajewska-Krzysztofik, Jadwiga Jankowska-Cieślak, Maja Komorowska, Hiroaki Murakami, Maja Ostaszewska, Ewelina Pankowska, Jacek Poniedziałek, Magdalena Popławska / Texte d’après Elizabeth Costello, L’Homme ralenti, L’Abattoir de verre deJ. M. Coetzee  / Collaboration au texte Łukasz Chotkowski, Mateusz Górniak, Anna Lewandowska  / Scénario Piotr Gruszczyński, Krzysztof Warlikowski  / Mise en scène Krzysztof Warlikowski / Costumes et décors Małgorzata Szczęśniak  / Lumière Felice Ross  / Dramaturgie Piotr Gruszczyński   / Collaboration artistique Claude Bardouil / Musique Paweł Mykietyn   / Vidéo Kamil Polak  / Maquillage Joanna Chudyk, Monika Kaleta / Traduction pour le surtitrage Margot Carlier (français), Artur Zapałowski (anglais)   / Assistanat à la mise en scène Jeremi Pedowicz  / Régie générale Paweł Kamionka / Régie plateau Łukasz Jóźków  / Régie vidéo Tomasz Jóźwin / Régie Lumière Dariusz Adamski  / Régie son Mirosław Burkot / Captation vidéo Bartłomiej Zawiła / Surtitrage Zofia Szymanowska / Machinerie Wojciech Sadowski, Łukasz Żukowski / Accessoires Tomasz Laskowski / Habillage Kajetan Korcz, Sylwia Szefer 

Dates
  • 14 septembre 2024 : Malta Festival Poznań 2024 (Pologne)
  • Du 26 septembre au 6 octobre 2024 : Nowy Teatr (Varsovie, Pologne)
  • Du 29 novembre au 1er décembre 2024 : Théâtre de Liège (Belgique)
  • Du 13 au 15 décembre 2024 : Boska Komedia – Divine Comedy – International Theater Festival (Cracovie, Pologne)
  • Du 5 au 16 février 2025 : La Colline – Théâtre national (Paris)
  • 21 et 22 mars 2025 : Schauspiel Stuttgart (Allemagne)

Reminiscencia
Création 2022 – Festival International de Buenos Aires (Argentine)
Vu au Festival d’Avignon

Crédits

Avec Rosa Alfaro, Malicho Vaca Valenzuela, Lindor Valenzuela / Texte, création, mise en scène, dramaturgie et vidéo Malicho Vaca Valenzuela  / Lumière Nicolás Zapata  / Assistanat à la mise en scène Ébana Garín Coronel  / Traduction pour le surtitrage Béryl Chanteux (français), Christine Hills (anglais) / Régie générale et vidéo Malicho Vaca Valenzuela  / Régie plateau Ébana Garín Coronel 

Dates
  • Du 3 au 5 octobre 2024 : Rutas Festival (Toronto, Canada)
  • 13 octobre 2024 : Festival Festara (Araçatuba, Brésil)
  • 16 et 17 octobre 2024 : Le Quai Centre dramatique national d’Angers-Pays de la Loire
  • 9 novembre 2024 : Linha de Fuga (Coimbra, Portugal)
  • 20 et 21 novembre 2024 : Théâtre l’Aire Libre (Saint-Jacques de la Lande)
  • 28 novembre 2024 : Théâtre Cinéma Paul Eluard (Choisy-le-Roi, France)
  • 29 et 30 novembre 2024 : Next Festival (Lille)
  • Du 4 au 8 décembre 2024 : Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse)

Partager cet article
Avatar photo
Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
Suivre :
Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse. 06 22 65 94 17 / peter.avondo@snobinart.fr
Laisser un commentaire

Abonnez-vous au magazine Snobinart !