La “Journée de noces” de Mouawad, sous les obus la fable

Le spectre de Mère semble hanter encore Wajdi Mouawad. La scénographie en bois brut d’Emmanuel Clolus apparaît comme une réminiscence, il émane de ce plateau une sensation de déjà-vu, une atmosphère familière – familiale, aussi –, comme une prolongation de son cycle Domestique. Avec Journée de noces chez les Cromagnons, l’actuel directeur de La Colline se tourne à nouveau – comme il l’avait précisément expérimenté dans Mère – vers une distribution essentiellement libanaise, à qui il propose un texte traduit depuis le français. Mais en dépit des similarités et inspirations assumées, c’est bien à une pièce à part entière que le metteur en scène convie les spectateurs.

Sous les bombardements incessants qui se confondent avec les craquements de l’orage, Nelly s’apprête à se marier. Ses parents, son frère et une voisine se donnent corps et âme à la préparation des noces, attendues comme un dernier espoir d’apaisement au cœur de la guerre. Mais pour qu’il y ait mariage, encore faudrait-il qu’il y ait un fiancé. Laissant planer le doute sur l’existence du jeune promis, Wajdi Mouawad ouvre une porte vers une lecture second degré de la situation, qu’il teinte d’humour – à la faveur d’une fiancée narcoleptique notamment – et d’illusions. Le décor légèrement asymétrique aidant, il joue avec les perspectives visuelles comme il intrique le réel à l’imaginaire, s’éloignant ainsi peu à peu du témoignage au profit de la fable.

Car les bombes ont beau faire trembler les murs, c’est bien la poésie qui se cherche une place dans cette Journée de noces chez les Cromagnons. Peu à peu, l’espace délimité par les murs en bois devient le lieu des fantasmes. L’auteur de la pièce – en tout cas, son double, plus jeune –, y a même son propre rôle. Ce qu’il écrit semble prendre forme sous ses yeux à mesure que le public le découvre aussi. On comprend bientôt que tout ce qu’il tape sur sa machine devient réel, ou plutôt appartient à un certain niveau de réalité. Mais cet espace est aussi celui des souvenirs, ceux des parents qui se nourrissent inlassablement de la pensée des enfants disparus depuis longtemps. De strate en strate, Wajdi Mouawad rend ainsi un nouvel hommage au théâtre, où tout devient réel précisément parce qu’illusoire.

Comme à son habitude, l’auteur-metteur en scène travaille sur le point d’équilibre entre le drame et l’humour, soutenu par des situations et des personnages à haut potentiel comique. Mais sous le poids d’une géopolitique internationale particulièrement sombre, l’interprétation emphatique de la distribution a tendance à alourdir le plateau, tenant la pièce à distance de sa propre poésie en voulant lui donner trop de puissance. Pour autant, même si cette Journée de noces chez les Cromagnons s’avère oppressante, elle s’inscrit avec pertinence dans le parcours artistique de Wajdi Mouawad, toujours salué par les spectateurs venus en nombre.

Journée de noces chez les Cromagnons
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