En ce début d’année, l’Opéra Orchestre National de Montpellier a choisi de nous immerger avec une création novatrice. Réunissant trois artistes en résidence (la metteuse en scène Franciska Ery, le compositeur Alex Ho et l’écrivain Ar Guens Jean Mary), une expérience inédite attend le public de l’Opéra Comédie les 10 et 11 février. C’est au travers d’un concept qui rompt totalement avec la tradition opératique que les artistes ont choisi de travailler leur création commune, au titre évocateur.
Revenant sur les souvenirs de l’auteur du livret, confronté dans sa jeunesse à un tremblement de terre, Séisme se place par son propos dans la lignée de la dernière création de la maison, Climat, conçue pour Opéra Junior en mars 2023. La relation qu’entretient l’espèce humaine avec son environnement y est essentielle, d’autant que la réflexion est ici amorcée par un événement naturel que l’on sait particulièrement redoutable. Mais si le sujet à proprement parler n’est désormais plus inhabituel sur nos scènes, c’est bien sa réalisation qui marque là toute l’originalité du projet.
Scénographie, texte, musique, lumières et nouvelles technologies ont été convoqués ensemble pour imaginer une forme nouvelle. Non seulement le cadre dans lequel s’imagine ce Séisme – presque plus vrai que nature – s’affranchit de l’espace traditionnel de représentation scène-salle, mais il va aussi plus loin dans l’expérience de spectateur en proposant une immersion interactive qui met les sens à contribution. Dans cette création, il ne s’agit donc plus de voir le public comme une entité passive, quel que soit le degré d’immersion qu’on lui propose, mais bien de l’intégrer au dispositif comme acteur d’un espace qu’il contribue à faire évoluer. Filant ainsi la métaphore du rôle de l’être humain sur son environnement, la forme imaginée pour Séisme en rejoint le fond, comme nous l’expliquent les artistes qui ont pris part à son élaboration.
Franciska Ery, metteuse en scène
Le concept de Séisme vient-il avant tout de son propos ou des moyens techniques utilisés ?
Le sujet et la structure technique de cette pièce vont de pair. On nous a demandé de créer un opéra numérique, c’est nous qui l’avons interprété de cette manière. Après la période d’isolement, je voulais expérimenter une forme numérique qui reste tactile, qui nécessite votre présence en tant que spectateur et techniquement innovante. Le concept d’un sol interactif a fait partie du processus de réflexion dès le début. C’est un sujet très important pour nous. Ar Guens a une expérience personnelle des tremblements de terre, Alex et moi étions conscients de notre rôle d’auditeurs de ses souvenirs. Nous accordons une grande importance à son histoire, nous voulions une expérience qui l’honore et la respecte. Séisme porte moins sur les tremblements de terre que sur notre propre relation avec la Terre.
Avez-vous rencontré des difficultés ou des imprévus dans la mise en œuvre du projet ?
Ce projet a été une entreprise bénie, grâce à son équipe créative et à la direction de l’Opéra de Montpellier. Toutes les difficultés ou surprises que nous avons rencontrées n’ont fait qu’inspirer des solutions et une pensée créative. C’est l’une des choses que j’aime le plus dans ce travail : même la résolution de problèmes peut être un processus passionnant.
Alex Ho, compositeur
Cette expérience a-t-elle modifié votre manière de composer ?
Séisme est né de conversations entre Franciska, Ar Guens et moi, ce qui signifie que je connaissais des éléments importants de la scénographie avant de composer la musique. Cela m’a permis d’embrasser l’ouverture d’esprit de la création théâtrale. En tant que compositeur, il est tentant d’imaginer et de noter méticuleusement chaque moment d’une pièce ; il a donc été rafraîchissant de renoncer au contrôle et de découvrir les résultats avec une nouvelle curiosité.
Quelles ont été vos inspirations ?
Le texte qui forme le livret d’Ar Guens a un impact considérable sur le monde musical de Séisme. Il est à la fois abstrait et profondément immédiat. Trouver un moyen d’évoquer cet esprit dans ma musique était un défi passionnant !
Ar Guens Jean Mary, auteur
Comment s’est passée l’écriture dans le cadre de ce projet ?
Quand on écrit, on n’échappe pas à son lieu d’origine. Il est toujours présent à chaque mot qu’on lance dans la bouche du texte. Dans le cadre de ce projet, j’ai pris beaucoup de plaisir à ramener des souvenirs (bons ou mauvais) à partir des éléments concrets liés au phénomène d’un tremblement de terre. Un phénomène d’ailleurs que j’ai vécu en 2010 en Haïti. Alors, pour composer les textes, j’ai un peu puisé dans ce réservoir de souvenirs et de mon imaginaire.
Quelles contraintes avez-vous rencontrées ?
La contrainte, dans mon cas, a été surtout de vaciller au juste milieu du vécu ; c’est-à-dire placer ce souvenir local, avec tout son souffle poétique, dans une voix universelle où chacun peut expérimenter sa sensibilité vis-à-vis de cet opéra.