Ce pourrait être de la danse, un two men show à potentiel comique, une conférence théâtralisée tournée en dérision ou une forme pas tout à fait identifiable qui tiendrait de la performance artistique globale. À vrai dire, Nice trip est un peu tout cela à la fois, mais ne perd jamais de vue le sujet qui en est à l’origine. Partant d’un état du monde à l’instant T, Mathieu Desseigne-Ravel et Michel Schweizer tissent imperceptiblement le fil d’une réflexion qui, sous couvert de quelques blagues pince-sans-rire bien parsemées, s’interroge sur ces plus de 40 000 kilomètres de frontières qui dissuadent, blessent ou protègent les êtres humains à travers le monde.
Remontant le fil de l’histoire du barbelé en prenant pour appui quelques photos bien choisies de ses différentes versions, les deux artistes apparaissent ainsi comme un duo de clowns, dans un travail précis de la langue, du geste et de la présence, prenant acte de l’existant et partant en quête d’une certaine utopie.
Pourtant, rien ici n’est vraiment affirmé comme vérité absolue. Aussi, rien ne s’impose comme solution à un problème que l’on ne nomme jamais véritablement. L’écriture de Nice trip est particulièrement intéressante, précisément parce qu’elle joue sur les non-dits, sur ce que nous ne pouvons ignorer malgré notre impuissance. De sous-entendus en illustrations chorégraphiques, les interprètes s’appuient sur les symboles et les métaphores, comptant sur le bon sens du public pour suivre leur pensée et, au choix, l’accepter ou la rejeter.
Dans leur démonstration qui entremêle l’humour et la poésie, Mathieu et Michel sont finalement confrontés à un troisième regard, celui d’Abel Secco-Lumbroso qui, de par sa jeunesse et son apparente candeur, vient remettre en question la parole de ses aînés. Il apporte à Nice trip une lecture complémentaire, celle d’une génération qui, tôt ou tard, prendra le relai de ces adultes de qui elle ne peut plus rien attendre. Alors viendra peut-être une nouvelle ère qui se défera de ces murs et barbelés.
En attendant, la jeunesse apprend à s’en accommoder, à franchir coûte que coûte, à s’insurger, à faire front. Seul, le corps de Mathieu évolue comme blessé, replié, ratatiné comme pour passer entre les fils en dépit des coups et des griffures que cela implique. Avec Abel, ses mouvements s’ouvrent et s’amplifient, dans un élan de transmission des rêves et d’élargissement des possibilités. Le tout sans jamais être certain d’être au bon endroit, face aux bonnes personnes, comme si leur discours finirait toujours par se perdre sans jamais être entendu.
Toute la douceur de Nice trip se tient dans cet entre-deux : d’un côté la puissance et la nécessité du propos que l’on ne peut nier, de l’autre la retenue, comme une reconnaissance d’illégitimité de la part des interprètes, qui ne donne au public d’autre choix que de s’en emparer. La pièce se vit comme une parenthèse dont l’écho se poursuit hors salle, dans une légèreté en faux-semblant qui finit par nous toucher au plus profond.