Dans « De vos yeux », le numérique au service de la sincérité

Dernier volet de la trilogie commencée avec Andy’s Gone puis La Faille, De vos yeux clôture – presque – le cycle dystopique imaginé par Julien Bouffier autour d’une jeunesse déterminée à changer le monde. Dans ce troisième opus, les jeunes Andy et Allison revivent à leur manière le mythe d’Orphée et Eurydice, dans une configuration scénique qui réinterroge le rôle du spectateur.

Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
4 mn de lecture
© Marc Ginot

Déjà présent dans les deux premières pièces, le principe de théâtre immersif se révèle dans De vos yeux comme une expérience globale de spectateur. Équipés de casques audio, et après avoir reçu la consigne de nous sentir libres de nous déplacer pendant la représentation, nous pénétrons dans l’univers d’Allison et Andy avant même d’avoir franchi les portes du théâtre.

Bientôt le son qui nous emplit les oreilles sera complété par l’ombre quasi totale de la salle, à peine perturbée par les lumières vertes, très science-fiction, qui percent la fumée qui nous englobe, et par le faisceau d’une blancheur froide qui se dégage d’une Allison encore dissimulée sous une couverture de survie.

En Eurydice des temps nouveaux, la jeune femme attend sans le savoir d’être secourue par son Orphée (Andy), des abîmes dans lesquels elle est plongée sans vie. Déjà, notre curiosité de spectateur est stimulée par le dispositif scénique qui balaie tout ce que nous connaissons du théâtre. Sans assise ni frontalité, Julien Bouffier nous plonge dans l’inconfort de la découverte à travers l’expérience de la totale liberté du public, qui par ses réactions finit par porter la lourde responsabilité de l’acteur – voyeur.

L’imprévisibilité des mouvements et de l’implication des spectateurs apparaît comme l’ultime élément de la création artistique. Regarder ou fermer les yeux, se déplacer ou rester immobile, écouter ou retirer le casque, oser ou s’effacer… Chacun assiste à la représentation à sa manière et participe malgré lui à la dynamique globale, naturelle, humaine, qui se construit peu à peu autour des deux personnages.


Et le casque dans tout ça ? Cet outil qui pourrait renforcer l’individualisme devient finalement le lien insécable qui nous rassemble tous, matérialisation d’une expérience tacitement commune. À travers cette immersion sonore, la technologie nous invite ici à une intimité qui, étrangement, tient plutôt du réconfort que du désagrément. C’est tout un univers de sensations et d’émotions qui nous absorbe.

Ce casque est aussi la porte ouverte à une autre façon de dire le texte. Sans déclamation, les mots nous parviennent avec un tel naturel, une telle sincérité, une telle normalité, que l’on ne peut que se sentir impliqué. Pourtant, chose rare au théâtre, le texte, le fond du propos et même l’action à proprement parler passent au second plan. Ce que l’on voit et ce que l’on entend a moins d’importance que ce que l’on vit : une proximité entre les artistes et le public, à travers une relation précieuse que seul le spectacle vivant est capable de créer.

En sortie de salle, accompagnés par l’univers sonore qui nous poursuit jusqu’au terme dans une dernière communion, il nous manque toutefois un contexte un peu plus explicite. On devine, on imagine plus que l’on ne comprend, mais l’intégrale des trois volets devrait précisément permettre de mieux nous situer dans cet univers.

Il reste de cette création une expérience de spectateur forte et nouvelle, dans une réflexion qui fait passer la technologie et le numérique au cœur et au service de la dramaturgie. La réalité augmentée développée dans la trilogie de Julien Bouffier se poursuit d’ailleurs à travers la websérie Andy’s Gone, disponible sur YouTube pour les plus curieux.

Peter Avondo

Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse.

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse.
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