« When I Saw the Sea », Ali Chahrour entre terres et mères

Au Festival d’Avignon, le metteur en scène Ali Chahrour habite La FabricA avec sa dernière création "When I Saw the Sea", dans laquelle il offre aux femmes ayant immigré au Liban un espace rare de parole et de liberté.

Peter Avondo
Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
5 mn de lecture

L’image de la mer est aussi celle de l’horizon, de ce qui se devine au loin sans exister vraiment. C’est là que se projettent les espoirs, les désirs et les souvenirs. Dans When I Saw the Sea, la question du regard est primordiale. Ce n’est pas pour rien si Ali Chahrour fait d’abord le choix d’éblouir le public en lui braquant un projecteur en plein visage alors que rien n’a encore commencé. Certains spectateurs ont beau tenté de s’en protéger, le metteur en scène efface ainsi de la rétine toute image du réel et propose une page vierge sur laquelle tracer des contours de l’esprit.

Car tous les récits qui vont bientôt habiter le plateau ont déjà eu lieu. Ce sont leurs réminiscences qui s’apprêtent à être convoquées à travers les voix, la musique, les mots et les corps des interprètes. Au plateau, elles sont trois comédiennes et une chanteuse accompagnées d’un musicien, et portent ensemble l’histoire de ces femmes ayant migré au Liban depuis leur Ethiopie natale. Sur fond d’une actualité internationale brûlante et par-delà leurs témoignages, Tenei Ahmad, Zena Moussa et Rania Jamal font surgir par leurs paroles tout une part de la société libanaise habituellement soumise au silence. À elles trois, elles représentent ces femmes réduites à un esclavage moderne pour avoir voulu croire en leur liberté.

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Dans la forme qu’il imagine, Ali Chahrour place le travail du son au cœur de l’écriture. De la composition des basses à faire trembler les murs, aux chants d’une puissante douceur portés par Lynn Adib et soutenus par les instruments d’Abed Kobeissy, la trame sonore s’impose rapidement comme un matériau essentiel. C’est par ce medium que les vocalises touchent en plein cœur, que les souffles et les cris tentent de dire l’indicible et que les silences s’instaurent dans toute leur éloquence.

When I Saw the Sea n’est pas seulement le récit poignant de ces femmes venues briser l’omerta qui entoure une partie de leurs existences. Par elles passe aussi le portrait d’un autre Liban, qui transforme les rêves en désillusions, devenant le pivot de leurs parcours de vie respectifs. L’exil comme une promesse devenue cage à fuir se révèle comme un lien solide entre toutes. De mémoires en projection, c’est leur position en tant que femmes qui s’affirme peu à peu dans une société qui les a reniées. Celle-ci se dévoile tout à fait dans leur rapport à la maternité – donc à la transmission –, aussi bien comme mères que comme filles.

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Armées de toute leur sincérité et d’un désir sensible d’être enfin visibles, les actrices portent leur discours avec beaucoup d’émotion. C’est aussi cet espace-là que crée Ali Chahrour avec cette pièce. Dans les vibrations des chants comme dans les silences immobiles, le metteur en scène laisse le temps à l’image, au regard qui se pose enfin sur ce qui ne se voit pas.


When I Saw the Sea
Création 2025 Festival d’Avignon

Avec Tenei Ahmad, Zena Moussa, Rania Jamal et musique composée et interprétée par Lynn Adib, Abed Kobeissy / Mise en scène et chorégraphie Ali Chahrour / Assistanat à la mise en scène et à la choréographie Chadi Aoun / Direction technique et lumière Guillaume Tesson / Scénographie Ali Chahrour, Guillaume Tesson / Conception sonore Benoît Rave / Assistant direction technique Pol Seif / Relecture Hala Omran / Traduction en français Marianne Noujeim / Traduction en anglais Chadi Aoun

19, 20 et 21 août 2025 : Zurich theater spektakel (Zürich, Suisse)
9, 10 et 11 décembre 2025 : Théâtre Les Tanneurs (Bruxelles, Belgique)
7 mars 2026 : Meetyou Valladolid festival (Espagne)

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse. 06 22 65 94 17 / peter.avondo@snobinart.fr
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