Philippe Quesne compose avec les morts au Théâtre Garonne

Chaque saison, le Théâtre Garonne à Toulouse donne carte blanche à un artiste à l’occasion du temps fort Constellation. Cette année, c’est au scénographe Philippe Quesne, directeur artistique de La Ménagerie de Verre à Paris, qu’a été confiée la programmation de l’événement.

Peter Avondo
Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture Théâtre Garonne
5 mn de lecture

C’est donc dans la galaxie de Philippe Quesne que prend forme cette saison la Constellation organisée au Théâtre Garonne à Toulouse. Pour la première fois, l’actuel directeur de la Ménagerie de Verre s’est emparé de sa carte blanche pour développer, mains dans la main avec le programmateur Stéphane Boitel, un univers artistique autour d’une thématique : Spectres, revenants et autres fantasmagories. En faisant le choix d’un fil rouge comme ligne directrice pour son temps fort, le théâtre toulousain propose une plongée pertinente et foisonnante dans l’environnement artistique de Philippe Quesne et dans ses satellites.

Laura Vazquez, performeuse de mots

© DR

Récompensée du prix Goncourt de la poésie pour l’ensemble de son œuvre en 2023, Laura Vazquez ne se contente pas d’écrire, elle donne aussi une véritable dimension performative à ses mots. Habituée à lire ses textes en public, c’est pourtant avec une grande discrétion qu’elle prend place au micro pour les partager, créant autour d’elle une aura d’écoute rare dans laquelle sa poésie trouve son écho.

L’écriture de Laura Vazquez n’est pas de celles qui se parent d’un vocabulaire hermétique ou d’une littérature solennelle. Dans son souffle fragile, ses mots s’expriment avec instinct et sensibilité dans un langage qui tient de l’ordinaire, ou plutôt qui s’en amuse. Car c’est précisément dans la conception structurelle et dans l’expression de ses textes – les deux s’avèrent indissociables pour s’imprégner pleinement de son univers – que la poétesse-performeuse crée des images qui se précisent peu à peu à mesure de la lecture. De figures de styles en élocution parfois à la frontière du chant, elle orchestre son tempo sans fléchir et donne ainsi à sa poésie une vie propre.

Philippe Quesne et le théâtre des âmes

Pour les derniers jours de sa Constellation, Philippe Quesne présente dans la grande salle du Théâtre Garonne son spectacle Fantasmagoria créé en 2022. Au plateau, toute présence humaine a disparu du théâtre que propose le scénographe – si une « attraction théâtrale » telle que définie dans le dossier du projet peut effectivement être considérée comme théâtre. Toujours est-il que Philippe Quesne développe ici un univers totalement déshumanisé – si ce n’est par les voix qui parviennent encore au public depuis les enceintes et mégaphones – pour lequel il confie la distribution à une quinzaine de pianos et aux effets spéciaux qui les animent.

Sur la composition musicale et sonore de Pierre Desprats, enchevêtrée de textes parmi lesquels on retrouve la plume de Laura Vazquez, Fantasmagoria se regarde avec une curiosité presque enfantine en dépit de l’univers sombre qui s’y instaure. Jouant de projections en 3D, d’animations mécaniques qui transforment les pianos en automates, de vagues de fumée ou de geysers de feu, Philippe Quesne conçoit une atmosphère plutôt qu’un récit, comme un état des lieux après l’humain, dans une approche métaphorique de ce qui existe avec nous, après nous, malgré nous.

Michikazu Matsune, comment se dire adieu

© Maximilian Pramatarov

Originaire du Japon et installé en Autriche, Michikazu Matsune est sans conteste la pépite de cette journée de Constellation au Théâtre Garonne. Invité par Stéphane Boitel, qui souhaitait l’accueillir depuis plusieurs années, l’artiste est venu présenter Goodbye, un spectacle créé en 2016 qui prend pour sujet les lettres d’adieux. Sur le papier, rien de très réjouissant a priori… sur le papier seulement. Dans une scénographie des plus minimalistes – un bureau, une chaise, deux cubes et quelques réveils et horloges pour faire planer le spectre de la mort un peu partout –, l’interprète prend rapidement le contrepied de la thématique présumée larmoyante dont il s’empare.

Armé de son coupe-papier, il joue les équilibristes avec beaucoup d’aisance et de légèreté pour porter des paroles aussi poignantes pour certaines qu’hilarantes pour d’autres. Du règlement de compte intime au témoignage historique, Michikazu Matsune transmet sa pièce avec flegme et profondeur, flirtant parfois avec le one man show comique sans pour autant tomber dans la blague totalement gratuite. Au fil d’une écriture qui, comme son décor, va à l’essentiel sans prétention, il met en lumière quelques manières de se dire au revoir… Quelques-unes de plus n’auraient pas été de trop, dommage que la fin de Goodbye, elle, vienne si vite !

Partager cet article
Avatar photo
Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
Suivre :
Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse. 06 22 65 94 17 / peter.avondo@snobinart.fr
Laisser un commentaire

Abonnez-vous au magazine Snobinart !