Parsemée avec retenue de quelques sorties comiques qui pourraient presque faire penser à un bon vieux vaudeville, cette adaptation de L’Éternel Mari de Dostoïevski par Nicolas Oton est pourtant bien loin de la farce légère. Au sein d’une scénographie de l’essentiel signée Cécile Marc, dans laquelle chaque élément a son importance propre, le metteur en scène lâche deux hommes en duel, plutôt qu’en duo, dans une arène conçue pour mettre l’âme à nu. Comme emprisonnés – sur trois côtés par le public et en fond de scène par un mur passablement délabré –, Jacques Allaire et Frédéric Borie se retrouvent contraints à l’impossibilité de fuir. Dans cet espace d’intimité, les langues se délient au plateau tandis que les spectateurs, voyeurs malgré eux, assistent impuissants au sombre spectacle qui s’y joue.
Car sous le vernis de l’ironie à laquelle il s’autorise parfois à succomber, Nicolas Oton cherche dans cette relation mari-amant ce qui est compris sans être dit, ce qui flotte sans émerger, ce qui grossit sans éclater. Étirant sa pièce comme un fil tendu au long duquel rien – ou presque – ne trouve sa résolution, il immerge public et personnages dans une forme de fébrilité permanente alimentée par le propos même du texte. Pourtant le récit n’a rien de plus banal, au théâtre. C’est ni plus ni moins que l’histoire d’un mari veuf et cocu qui tente d’élever seul sa fille en cherchant son courage dans l’alcool. La trame ne serait toutefois pas celle d’un vaudeville si le mari n’avait été trompé par son ami et que celui-ci ne s’avérait être le père biologique de l’enfant.
Mais dans la réalisation de cette confrontation se joue tout autre chose que le comique de situation. Dans une ambiance pesante et à la lumière tamisée, appuyée par l’habillage sonore d’Alexandre Flory, une atmosphère plus psychologique – horrifique, parfois –, s’instaure peu à peu et donne à ces personnages un visage effrayant. Imposant un quatrième mur quasi intégral, Nicolas Oton met à jour une nature humaine complexe, sans masque, qui se prend à son propre piège. Il développe ainsi, dans les non-dits, les sous-entendus et les attitudes un mal-être généralisé qui s’insinue peu à peu dans l’esprit du public. Le potentiel comique disparaît bien vite au profit de la crainte, de l’anticipation, de l’interprétation et de l’attente – vaine – d’une résolution.
Dans ses intentions comme dans sa réalisation, L’Éternel Mari ressort comme une création pertinente dont le parti pris se lit sans difficulté et avec finesse. En dépit d’une dynamique parfois inégale qui fragilise la tension nécessaire à la pièce, la connexion qui s’établit entre Jacques Allaire et Frédéric Borie est palpable, comme évidente, et sculpte entre leurs deux personnages un espace vide qui s’emplit des fantômes de leur histoire commune. Nicolas Oton conçoit en définitive une pièce où tout s’entend sans se dire, où tout se voit sans se montrer, provoquant une sensation de vertige vaporeux qui met l’humain face à lui-même.