Pour les spectateurs venus prendre place dans les gradins qui font face au plateau, il n’existera jamais plus que deux écrans et quelques projecteurs. Une heure durant, le public ainsi rassemblé assistera donc à la diffusion d’une vidéo, dans un espace-temps jamais perturbé par une quelconque présence humaine directe. Pourtant, dans son dispositif déshumanisé, Toshiki Okada interroge une certaine forme de théâtre, ou a minima une certaine occupation de l’espace. Car si les trois interprètes eux-mêmes – derniers spectres d’un spectacle vivant qui n’a plus lieu – hantent encore le plateau de théâtre depuis lequel ils sont filmés, habitent-ils pour autant celui qui, à l’instant T, accueille NEW ILLUSION ?
En réalité, Toshiki Okada joue sur le flou des illusions précisément rendues possibles au théâtre en s’amusant du visible et de l’invisible, la première d’entre elles consistant à faire croire à une présence sur une scène bel et bien vide. Mais loin de se contenter du simple usage de la vidéo, le metteur en scène imagine une scénographie qui questionne en elle-même la distinction entre ce qui existe et ce que l’on se représente. Et pour cause, autour et entre les deux écrans subsistent des vides. À la faveur des déplacements de ces corps qui errent et se déplacent d’un écran à l’autre, les espaces a priori inhabités accueillent ainsi la projection de l’esprit des spectateurs qui ont tout loisir de s’imaginer la traversée cachée. La deuxième illusion est à l’œuvre.
Dans cet entre-deux se développe enfin une troisième illusion, cette fois-ci textuelle, par les mots échangés entre les interprètes. Revenus sur les traces d’une pièce qui ne se joue plus, ils prennent NEW ILLUSION pour prétexte à une réflexion sur ce que peut le théâtre en matières de représentation et de transmission. Là encore, plutôt que de servir au public une solution clé-en-main aux questions qu’il soulève, Toshiki Okada préfère laisser les spectateurs à leur interprétation propre en disséminant quelques outils de pensée au gré d’une conversation aux apparences banales et détachées. À contre-courant du leurre qu’il met en place, l’artiste travaille ainsi à une certaine distance en incitant à la philosophie au cours d’une représentation qui s’affranchit de toute forme de spectacle.
Dans le propos qu’il prête à ses personnages comme dans le dispositif qui lui sert de medium, Toshiki Okada propose en définitive une question essentielle : où s’arrête le théâtre ? Apparemment pas une fois les représentations terminées, les décors disparus et les portes fermées, puisque quelque chose subsiste encore dans l’esprit des interprètes revenus sur leurs traces. Mais en tant qu’objet artistique qui s’affranchit totalement de la présence humaine, NEW ILLUSION se place difficilement dans le champ du spectacle vivant et se rapproche de l’installation. Ses interrogations sont en revanche bien réelles et donnent nécessairement à penser, une fois l’étonnement de la forme passée.
NEW ILLUSION
Création 2022 – Tokyo
Vu au Théâtre Garonne – Toulouse
Crédits
écriture et mise en scène Toshiki Okada / réalisation Shimpei Yamada / avec Tomomitsu Adachi, Ayana Shiibashi, Jeong Jung-yeop / musique Jang Young-gyu / enregistrement, son Raku Nakahara / lumière Masayoshi Takada(RYU), Kousue Ashidano(RYU) / régisseur lumière Arisa Nagasaka (RYU) / costume Kyoko Fujitani(FAIFAI) / régie Daijiro Kawakami, Marie Moriyama / enregistrement Yuki Sato, OHSHIRO SOUND OFFICE Inc. / assistant vidéo Shiori Saito(AOZORA), Yuki Higuchi / interprétation Nawon Lee / traductrice Miyako Slocombe
Dates
- Du 6 au 8 novembre : Théâtre Garonne – Toulouse