C’est toujours un peu facile de dire qu’un texte entre particulièrement en écho avec l’actualité. Mais difficile de passer à côté de ce constat d’une évidence incontestable avec Le Rendez-vous, la dernière création de Jonathan Capdevielle qui met en scène Camille Cottin dans un monologue sans interdit. Pour autant, la parution du roman Jewish cock (le titre original est on ne peut plus éloquent) de Katharina Volckmer, à l’origine de cette adaptation scénique, ne date que de 2021. Mais si les questions de genre ou de culpabilité allemande post-nazisme sont devenues des thématiques récurrentes, l’omniprésence d’un fascisme de plus en plus oppressant dans notre société et les éclats des guerres qui se jouent au même moment sur d’autres théâtres donnent à cette pièce une lecture plus profonde encore, comme si les nombreux sujets abordés par l’autrice ne suffisaient plus à dépeindre un paysage sociétal et géopolitique aussi complexe que le nôtre.
Pourtant, bien malin qui pourra résumer les lignes directrices de ce texte, tant il semble précisément aborder tous les sujets capitaux. Et déjà le passage du roman au plateau se confronte à son premier défi – réussi, au demeurant –, celui de conserver dans son essence tout ce qui a fait le succès de Jewish cock à sa sortie : un condensé de réflexions qui esquissent, en filigrane et au fil des mots, la manière dont nos sociétés contemporaines, empreintes de toutes celles qui les ont précédées, nous construisent malgré nous. Car sous couvert d’une consultation gynécologique de cette femme allemande se fantasmant homme juif, ce qui constitue le fil rouge dramaturgique de la pièce, Le Rendez-vous mis en scène par Jonathan Capdevielle se fait surtout étendard de liberté et de résistance.
Cherchant à s’emparer du droit à se construire comme il lui convient de le faire, le personnage porté par Camille Cottin évolue dans un espace physique et mental qui cherche à faire sauter les cadres. Autour d’elle, les lourds rideaux du théâtre – ce lieu qui rend tout possible et où s’évapore la crainte du regard d’autrui – ont pris une teinte violette, presque grisâtre selon la manière dont les lumières d’Yves Godin les sculptent. Envahissant le plateau comme un monstre informe qui force à composer avec lui, la scénographie de Nadia Lauro transmue le plateau en une muqueuse textile et organique à l’intérieur de laquelle le corps expressif de l’interprète, recouvert de son costume de seconde peau fluo, apparaît finalement comme un virus venu métamorphoser de l’intérieur cette morphologie dans laquelle il évolue. Sans la reproduire au plateau, la consultation gynécologique conçue par Jonathan Capdevielle vire ainsi, en parfait écho au texte original, à une introspection confessionnelle.
Sur scène comme dans le roman, le rendez-vous médical qui a lieu en amont de l’opération destinée à lui construire un pénis devient en effet, pour le personnage narrateur, prétexte à un état des lieux de la société qui l’entoure et de sa propre construction dans un monde ultra normé. Dans son récit se mélange alors ce qui est ouvertement dit (le contexte familial, le spectre nazi de son Allemagne natale ou une sexualité librement affirmée) et ce qui tient de l’implicite, du formatage systémique auquel il apparaît comme un choix politique et social de se conformer ou de s’opposer.
Dans ce déballage d’anecdotes aussi légères et drôles d’apparence que profondément réflexives et poétiques, Camille Cottin y va de sa voix comme de son corps, en nuances et en équilibre, pour cet objet scénique d’une étrangeté fascinante si singulière à Jonathan Capdevielle. Avec cette rencontre étonnante de leurs univers respectifs, l’actrice et le metteur en scène proposent dans Le Rendez-vous une pièce généreuse de sens et de sensibilité qui pourrait sans mal trouver sa force au-delà de son contexte de création, s’il n’était pas si urgent d’en rappeler la nécessité à bien des niveaux…
Le Rendez-vous
Crédits
Adapté du roman «Jewish Cock» de Katharina Volckmer / Adaptation pour la scène Camille Cottin & Jonathan Capdevielle / Traduction française Pierre Demarty © Editions Grasset &Fasquelle / Mise en scène Jonathan Capdevielle / Assistant à la mise en scène Benjamin Gauthier / Conception Scénographique Nadia Lauro / Costumes Colombe Lauriot Prevost / Création Lumière Yves Godin / Création sonore et musicale Pierre Bosheron / Chorégraphie Marcella Santander / Avec Camille Cottin
Dates
- Du 24 septembre au 5 octobre 2024 : Théâtre du Jeu de Paume – Aix-en-Provence
- Du 18 au 19 décembre 2024 : Théâtre d’Arles
- Du 7 au 25 janvier 2025 : Théâtre des Bouffes du Nord Paris
- Du 28 au 29 janvier 2025 : MC2: Grenoble
- Du 31 janvier au 1er février 2025 : Bonlieu Scène nationale Annecy
- Du 4 au 5 février 2025 : Radiant Bellevue / Les Célestins Lyon
- 7 février 2025 : L’Onde, Théâtre Centre d’Art Vélizy-Villacoublay
- Du 10 au 11 février 2025 : La Coursive La Rochelle
- 13 février 2025 : Théâtre du Vésinet
- 16 février 2025 : Opéra de Vichy
- 23 février 2025 : Bâtiment des Forces Motrices, Genève
- 25 février 2025 : Théâtre de Beausobre, Morges (Suisse)
- Du 1er au 2 mars 2025 : Châteauvallon-Liberté Toulon
- Du 4 au 6 mars 2025 : Anthéa Antibes
- Du 11 au 22 mars 2025 : TNS Strasbourg
- Du 24 au 25 mars 2025 : TAP Poitiers
- Du 27 au 28 mars 2025 : Scènes du Golfe, Vannes
- 3 avril 2025 : Le Cratère Alès
- 5 avril 2025 : L’Ombrière, Pays d’Uzès
- 8 avril 2025 : Le Parvis Ibos