Le spectacle vivant est l’un des domaines les plus vastes de notre identité culturelle. Les arts s’y croisent, s’y mêlent ou s’y affrontent, mais dans l’imaginaire collectif, le spectacle se joue dans une salle sombre, le public assis dans des fauteuils plus ou moins confortables, bien à l’abri des aléas météorologiques et autres éléments extérieurs qui pourraient impacter la représentation. C’est l’héritage d’une vision européenne du spectacle vivant héritée d’il y a seulement quelques siècles. Avant cela, même les plus emblématiques de nos auteurs européens se jouaient en plein air, du Globe de Shakespeare aux planches provinciales de Molière, et bien avant eux tous les tragédiens de l’Antiquité. En bref, assister à une représentation de spectacle vivant ne s’est pas toujours fait sous ce format bien confortable que l’on vénère de nos jours, et qui est à l’origine d’une véritable dissension, aujourd’hui, au sein d’un même corps de métier.
Le terme d’arts de rue a longtemps été associé à une vision dégradante de la profession. Humour potache, clowneries, absence de recherche artistique, décors bricolés, mises en scène bâclées, spectacles de foire… On ne compte plus le nombre de qualificatifs au mieux péjoratifs dont ce domaine a été affublé. Pourtant, ce que l’on appelle désormais les arts en espace public n’ont rien à envier à leur pendant emmuré, si ce n’est un manque cruel de visibilité et une réputation qui a du mal à s’estomper en dépit des nombreuses actions soutenues par des professionnels engagés et motivés. C’est notamment le projet des CNAREP (Centres nationaux des arts de la rue et de l’espace public), dont l’objectif est de soutenir et d’accompagner les rencontres, créations, productions et diffusions de formes artistiques destinées à l’espace public. Mais ces grandes organisations nationales soutenues par le Ministère de la culture ne sont pas les seules à agir en faveur du développement des artistes, compagnies et techniciens du secteur.
Entre Avignon et Agde, aucun CNAREP en revanche. La région Occitanie en compte deux à proximité de Toulouse, autant que la région PACA autour de Marseille, mais rien de cet ordre près de Nîmes ou Montpellier, par exemple. Rien, vraiment ? Pas tout à fait. Au cœur de ce territoire, une structure à part entière fait montre d’une grande force d’action en faveur des arts en espace public, et pas seulement. Son nom, L’Atelline, est connu de tous les professionnels du secteur et bien au-delà, comme nous avons pu le constater au festival Chalon dans la rue (en Bourgogne), un rendez-vous incontournable depuis 35 ans pour le spectacle dit « de rue ». Nous y avons notamment rencontré Agathe Arnal, metteuse en scène de la compagnie gardoise Délit de façade, dont la dernière création a été largement soutenue par L’Atelline : « On n’a pas de CNAREP vers Montpellier. Je trouve que L’Atelline prend ce rôle, ils sont à la hauteur d’une telle intelligence de projet. C’est vraiment notre partenaire qui fait sens dans notre domaine ».
Il faut dire que la structure, installée depuis 2019 à l’ancien centre de tri postal de Juvignac, propose de multiples accompagnements aux artistes, à différentes échelles en fonction des projets, de la réflexion initiale jusqu’à la diffusion, en passant par le soutien à la création ou à la production. C’est tout un travail de recherche, de confrontations artistiques, d’écriture et même d’architecture urbaine qui est mené pour favoriser le développement de nouveaux projets et porter des voix qui, souvent, peinent à s’exprimer en-dehors de certains événements spécifiques comme les festivals, ou au détour de rendez-vous ponctuels comme en proposent Le Sillon à Clermont-l’Hérault, le Cratère à Alès, ou encore à l’occasion de la Biennale des Arts de la Scène en Méditerranée. Ce travail de fond assumé par L’Atelline s’avère nécessaire aux compagnies partenaires. Pour la compagnie Galmae, qui a bénéficié à Juvignac d’une résidence d’accompagnement d’écriture dramaturgique, la plus-value est évidente : « Ce type de résidence est essentiel. Le directeur artistique a une vision globale. C’est lui le dramaturge, le metteur en scène. Mais quand tu crées, même si c’est de ta compétence, tu ne crées jamais seul. Tu as besoin de regards extérieurs pour ne pas rester dans un entre-soi ».
Cette nécessité de se confronter au regard d’autrui, L’Atelline en a bien conscience. Portée par sa directrice Marie Antunes et toute son équipe, la structure a réfléchi son projet selon quatre grands axes qui forment son ambition globale au service de ses partenaires : la création artistique, l’aménagement et l’accompagnement des territoires et de leurs habitants, l’éducation et la médiation culturelles, et le développement de recherches en lien avec l’enseignement supérieur. Toutes ces actions menées au fil des ans forment in fine un vivier de talents complémentaires qui se combinent et s’imbriquent au gré des rencontres. L’un des exemples les plus parlants de cette émulsion créative est peut-être le dispositif « Agiter avant emploi », qui consiste à créer des rencontres entre les artistes et des intervenants externes au projet. La compagnie Délit de façade en a fait l’expérience : « C’était précieux dès le départ. À ce moment-là, on a l’idée, on a l’envie, les premières lignes artistiques qui sont sous-jacentes, mais on se pose beaucoup de questions avant que le spectacle soit écrit. Marie invite plusieurs regards extérieurs, ils envoient beaucoup d’informations sur leurs ressentis, leurs questionnements, leurs incompréhensions, puis on repart travailler, on revient, et ainsi de suite. Ça précise la pensée, le protocole est très bien réfléchi ».
Cet accompagnement et cette structuration de la pensée artistique spécifique aux arts en espace public trouvent un véritable écho dans ce domaine. Il faut dire que « la rue » est sans doute l’un des environnements les plus propices à développer la réflexion humaine et sociale dans les arts du spectacle. Nous avons pu le constater : ces dernières années, un véritable virage, comme une prise de conscience, a touché les artistes et compagnies de l’espace public. En première ligne, des thématiques de société souvent très politiques et qui ouvrent à la réflexion et à l’échange : prostitution, immigration, géopolitique, égalités… La concrétisation de ces thèmes sur un espace de jeu prend naturellement des formes bien différentes et souvent inédites selon les projets, mais la dynamique globale tend vers une recherche de création approfondie de grande qualité.
Tout l’enjeu réside désormais dans la diffusion, et donc dans la visibilité de ces projets qui ont indéniablement des choses à raconter. Et pour ce qui est de la diffusion, L’Atelline met justement les petits plats dans les grands. Depuis plusieurs années, la structure héraultaise permet à ses partenaires de se produire dans différents lieux souvent inattendus. De l’esplanade Charles-de- Gaulle au cœur de Montpellier jusqu’aux salins de Villeneuve-lès-Maguelone, en passant par Clapiers, Castries et bien sûr Juvignac… L’Atelline redessine les paysages urbains et culturels au gré des projets qu’elle accompagne.
Pour cette rentrée, d’ailleurs, de nombreux rendez-vous sont proposés aux spectateurs à travers le territoire. Lors de ces « Escales métropolitaines », les spectateurs pourront assister à de nombreuses représentations, pour la plupart gratuites sur simple réservation, de septembre à novembre. En parallèle, L’Atelline poursuit ses activités d’accompagnement et de soutien à la création. Tous les projets de la structure sont à retrouver sur le site et sur les réseaux sociaux de L’Atelline.