Le plateau est recouvert d’un vaste tapis rouge carmin, couleur bien nommée. L’espace de jeu est délimité par une grande structure arrondie qui prend l’aspect d’un immense éventail ou du bord de piste d’une arène. Des images en plein dans l’esprit du récit et qui apportent dès les premiers instants une grille de lecture claire de l’histoire. Au fond, suspendu dans les airs, un astre imposant se fait tour à tour lune ou soleil. Sous lui jouent les quinze musiciens de l’Ensemble Miroirs Étendus dirigé par Fiona Monbet.
« Je ne t’ai pas demandé une chanson, je t’ai demandé une réponse. »
La scénographie tient de l’abstrait et suffit pourtant à accueillir avec pertinence chacun des tableaux. En écho à l’adaptation de Brook et Carrière, le metteur en scène Florent Siaud reproduit sur scène certaines images des premiers instants de l’original. Carmen est d’abord dissimulée sous une grande étoffe, rouge elle aussi, son visage est perdu dans le tissu et son corps se fond dans le décor. Elle tire les cartes en observant le monde pour mieux le modeler ensuite. Elle n’existe pas encore comme le personnage puissant que nous connaissons, mais il suffit de peu pour la découvrir tout à fait.
Lorsqu’enfin la bohémienne se dévoile, c’est la révélation. La mezzo-soprano Julie Robard-Gendre est captivante dans le rôle titre. Elle attire inévitablement le regard et évolue avec un naturel épatant dans la peau de la jeune et dangereuse Carmen. L’Amour est un oiseau rebelle est mis en scène comme un grand tube de variété, on se croirait un instant chez les Carpentier et cela fonctionne. En quelques notes, l’interprète prend possession du public et devient la femme puissante, séductrice et charnelle que nous décrivait Mérimée.
« Je ne te parle pas, je chante pour moi-même. »
Cette version resserrée est particulièrement efficace. En s’attardant uniquement sur les moments clés de l’opéra de Bizet, on se retrouve face à une pièce qui fait ressortir toute l’essence du récit sans longueur. On assiste aussi à une proposition qui peut perturber, dans un mélange de codes entre l’opéra, souvent propice au surjeu, et le théâtre qui parle ou qui se tait. Il y a du cinéma aussi, dans cette mise en scène. Et si nous restons peu convaincus par l’utilisation d’une vidéo qui n’apporte que peu de choses à l’ensemble, le jeu des ombres projetées sur le décor est, quant à lui, digne d’intérêt et offre une dimension dramatique supplémentaire.
On regrettera aussi le placement de l’orchestre en fond de scène qui, sans sonorisation, a tendance à s’effacer légèrement dans une salle à l’italienne, notamment lors de certains tableaux qui mériteraient une tension musicale plus soutenue. Toujours est-il que la prestation musicale, au même titre que l’ensemble de cette pièce, contribue à faire une proposition réussie que nous vous conseillons de découvrir, pour les amateurs d’opéra autant que pour les néophytes.
D’APRES
GEORGES BIZET, PROSPER MERIMEE, HENRI MEILHAC, LUDOVIC HALEVY
ADAPTATION
PETER BROOK, JEAN-CLAUDE CARRIERE, MARIUS CONSTANT
DIRECTION MUSICALE
FIONA MONBET
MISE EN SCENE
FLORENT SIAUD ASSISTE DE JOHANNES HAIDER ET JEAN HOSTACHE
AVEC
JULIE ROBARD-GENDRE, MARIANNE CROUX, THOMAS DOLIE, SEBASTIEN DROY, LAURENT EVUORT ORLANDI, NICOLAS VIAL ET L’ENSEMBLE MIROIRS ETENDUS AVEC 15 INSTRUMENTISTES
SCENOGRAPHIE, COSTUMES
ROMAIN FABRE
CREATION LUMIERE
CEDRIC DELORME BOUCHARD
VIDEO
THOMAS ISRAEL