« Close Up » et « The Disappearing Act. », Avignon danse l’invisible

Parmi les dernières propositions de cette 78e édition, le Festival d’Avignon laisse une place de choix à la danse qui investit parmi les lieux les plus emblématiques de l’événement. Retour sur Close Up de Noé Soulier à l’Opéra Grand Avignon et The Disappearing Act. de Yinka Esi Graves au Lycée Saint-Joseph.

Peter Avondo
Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture Vu au Festival d'Avignon
8 mn de lecture

La danse n’est pas en reste en ces derniers jours du Festival d’Avignon, qui accueille dans sa programmation différents visages de la chorégraphie contemporaine. Dans des approches que l’on pourrait presque opposer – la danse classique pour l’un, le flamenco traditionnel pour la seconde –, ce sont deux scènes deux ambiances avec Noé Soulier et Yinka Esi Graves, dont les pièces jouent respectivement à l’Opéra Grand Avignon et au Lycée Saint-Joseph. Pourtant, bien que l’écriture de ces deux spectacles ne prenne pas ses racines dans les mêmes origines, Close Up et The Disappearing Act. s’enveloppent tous deux d’une dramaturgie qui va chercher dans le geste une forme de déstructuration rendant visible l’invisible.

Close Up, décortiquer le geste

À la tête du CNDC d’Angers, Noé Soulier marque sa chorégraphie d’une recherche entre l’écriture formelle et le geste instinctif. S’appuyant sur les fugues de Bach pour concevoir Close Up, il passe un cap dans cette pièce en poursuivant son travail autour du corps et de la vidéo, qui vient apporter ici une dimension supplémentaire à l’attention portée aux détails. Loin de se contenter de montrer ce qui doit être vu, le chorégraphe joue sur les oppositions pour proposer une forme complète dont la tension ne retombera pas avant le dernier souffle.

Close Up © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Noé Soulier ne chorégraphie d’ailleurs pas que les corps, c’est même ce qui fait de Close Up un objet à part entière. Si ses six interprètes occupent le plateau de leur présence magnétique et de leur énergie partagée, cette création trouve aussi sa complétude dans le dialogue qui s’engage entre les corps et la musique. Ainsi les danseurs et les musiciennes occupent-ils le même espace en provoquant la rencontre de leurs univers respectifs. De cette manière, Noé Soulier assoit une écriture faite d’actions et de réactions, point contrepoint, pied contrepied… En bref, il cherche l’équilibre dans un tête-à-tête constant entre deux états supposément contradictoires : la multitude face à la solitude, le silence et le souffle contre la musique, l’harmonie et l’asymétrie.

Sur la base de cette écriture, Close Up fait surgir la complicité dans le paradoxe et met à jour ce qui ne se verrait peut-être pas autrement. Cherchant précisément à mettre en lumière ce qui passe généralement pour invisible, Noé Soulier imagine un dispositif vidéo qui se concentre sur le geste détaillé. En écho au titre de son spectacle, le chorégraphe décortique ainsi le mouvement en gros plan, générant des images d’une grande précision qui imposent une esthétique pure et moderne.

The Disappearing Act., le flamenco au corps

Pour Yinka Esi Graves, tout est affaire d’apparitions et de disparitions. Installée en Espagne depuis une quinzaine d’années, la performeuse d’origine jamaïco-ghanéenne née à Londres porte en elle une multitude d’héritages qui la composent. Cette personnalité plurielle, la danseuse a choisi de la travailler au plateau à travers la pratique du flamenco, discipline dont elle a fait la rencontre en arrivant précisément de l’autre côté des Pyrénées. Se confrontant aux origines elles aussi multiples autour desquelles s’est développée cette danse espagnole, Yinka Esi Graves la prend donc pour prétexte à développer sa propre dramaturgie. The Disappearing Act. (l’acte de disparaître) se place ainsi, dans l’énergie du flamenco, au centre d’une recherche entre le visible et l’invisible.

The Disappearing Act. © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

S’appuyant sur des figures afrodescendantes et sur la présence de ces populations en Espagne au XIXe siècle, Yinka Esi Graves ne cherche pas seulement à renouer avec une certaine histoire du flamenco. Sous ses talons qui claquent, dans la puissance des percussions de Remi Graves, de la guitare de Raúl Cantizano et de la voix de Rosa de Algeciras, la danseuse cherche aussi à apporter une réponse aux injonctions qui sont faites à celles et ceux dont elle partage la couleur de peau. Se rendre visible par la danse en se parant du feu des projecteurs est une chose, évoluer au sein d’une société qui ne s’est jamais débarrassée d’un certain racisme latent en est une autre.

Au-delà du geste et de l’esprit éminemment nourris du flamenco, Yinka Esi Graves révèle peu à peu les traces, celles qui l’ont menée jusqu’ici et celles qu’elle compte laisser derrière elle. Interrogeant ainsi l’héritage dont elle est issue et désormais en mesure de ne plus rester invisible, elle se confronte pourtant toujours à la nécessité de gommer les traits de son visage. Il s’agit moins de disparaître que de se fondre dans la masse : The Disappearing Act. est finalement celui qui nous rend acceptable aux yeux du monde.


Close Up
Création 2024 – Festival d’Avignon

Crédits

Avec Julie Charbonnier, Yumiko Funaya, Nangaline Gomis, Samuel Planas, Mélisande Tonolo, Gal Zusmanovich et l’Ensemble Il Convito : Christine Busch en alternance avec Sophie Gent (violon), Claire Gratton (viole de gambe), Maude Gratton (clavecin), Amélie Michel (traverso), Ageet Zweistra (violoncelle) / Conception et chorégraphie Noé Soulier / Direction musicale Maude Gratton  / Musique Jean-Sébastien Bach  / Lumière Kelig Le Bars  / Vidéo Pierre Martin Oriol / Scénographie Kelig Le Bars, Pierre Martin OriolNoé Soulier / Assistanat à la chorégraphie Stephanie Amurao / Direction technique François le Maguer / Régie générale Mathilde Monier / Régie lumière Nicolas Bazoge / Assistanat lumière et plateau Martin Mouchère  / Régie vidéo et son Jérôme Tuncer 

Dates
  • 9 et 10 octobre 2024 : Centre national de danse contemporaine d’Angers
  • 16 octobre 2024 : Romaeuropa Festival (Italie)
  • 27 et 28 novembre 2024 : La Comédie de Valence Centre dramatique national Drôme-Ardèche avec Lux Scène nationale de Valence
  • 7 décembre 2024 : Theater Freiburg (Allemagne)
  • 18 et 19 janvier 2025 : Opéra de Rennes dans le cadre du Festival Waterproof
  • 25 et 26 janvier 2025 : Opéra de Nantes dans le cadre du Festival Trajectoires
  • 28 janvier 2025 : Le Quartz Scène nationale de Brest
  • 31 janvier 2025 : Théâtre Auditorium de Poitiers
  • 5 février 2025 : Espaces Pluriels Scène conventionnée danse (Pau)
  • 7 février 2025 : Scène nationale du Sud-Aquitain (Anglet)
  • Du 11 au 13 mars 2025 : Théâtre de la Ville (Paris) avec Chaillot Théâtre national de la danse (Paris)
  • 27 mars 2025 : L’Arsenal Cité musicale de Metz

The Disappearing Act.
Création 2023 – Festival Flamenco de Nîmes

Crédits

Avec Yinka Esi Graves et Raúl Cantizano (guitare), Remi Graves (batterie), Rosa de Algeciras (chant)  / Conception, mise en scène et chorégraphie Yinka Esi Graves  / Musique Raúl Cantizano  / Lumière Carmen Mori / Son Javier Mora / Vidéo Miguel Ángel Rosales  / Costumes Stéphanie Coudert  / Régie son Enrique Gonzalez  / Régie lumière Carmen Mori / Production María González Vidal (Trans-Forma Producción Cultural) 

Dates
  • 24 et 25 août 2024 : International Festival Berlin Tanz im August (Allemagne)
  • 4 octobre 2024 : Universitat Jaume I de Castellón (Espagne)

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse. 06 22 65 94 17 / peter.avondo@snobinart.fr
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