We learned a lot at our own funeral, le trépas fédérateur
Artiste renommée et soutenue depuis 2021 à Montpellier Danse, la jeune artiste chorégraphe vancouvéroise, Daina Ashbee, a présenté sa nouvelle création We learned a lot at our own funeral. Grande révélation lors du 41e festival, Daina Ashbee avait présenté une rétrospective de son travail. Pour cette année, la mutation esthétique est au rendez-vous. Celle-ci récidive cependant dans une forme pour une interprète, à l’instar du sublime Serpentine dont on se souvient il y a quelques années.
Il est rare de retrouver le studio Bagouet avec sa façade intérieure de volets grand ouverts. Dans une configuration en quadrifrontal, le spectateur hésite entre se placer sur les gradins ou bien longer la scène bordée de sable fin pour s’installer sur les chaises qui l’entourent. Dans l’attente d’un commencement, Daina Ashbee, accompagnée d’Imara Bosco, viennent furtivement subtiliser les voix du public pour former un chœur cérémonial, avant de plonger la salle dans un noir presque absolu. On distingue une entité humaine qui vient lentement exhumer les tapis de danse. L’hymne liturgique est à l’arrêt pour laisser place à la contemplation nuiteuse du corps exsangue de Momoko Shimada.
C’est avec une danse break que l’on découvre une nouvelle approche de la chorégraphe. L’interprète se débat, tombe à répétitions, comme pour marquer la vulnérabilité de l’être humain. Cette résistance, parfois très présente, puis fantomale – dans un jeu de lumières très épuré -, vient placer la présence corporelle au centre de la scène. Les cris viennent seulement accompagner l’effroi du vide. Imara Bosco apparaît comme un spectre déambulant dans toute la salle, venant perturber ce qui vit et se meut sur la scène. La nudité est presque complètement effacée, moins présente que dans les précédents travaux de Daina Ashbee, au profit d’une danse cardiotonique qui vient coaliser la salle entière, dans le but de partager la crainte abyssale de notre existence, et que nous traversons tous de manière réitérée.
Requiem(s), le deuil comme rassemblement
Invité depuis plusieurs années sur chaque saison et festival, Angelin Preljocaj livre ici un spectacle rituel, venant questionner la mort et le deuil. Quoi de mieux dans un théâtre que de venir se recueillir pour y chercher des émotions, des moments partagés ? Ayant récemment perdu des êtres chers à titre personnel, le chorégraphe atteste de la nécessité de se recueillir autour de l’idée de la perte.
Plongé devant des tableaux lugubres tels des peintures baroques flamandes, le spectateur assiste à une véritable cérémonie macabre, ou les danseurs incarnent à tour de rôle des vivants atones, neurasthéniques et des languissants défunts. Les images projetées sur le fond de scène viennent frapper notre imaginaire, comme des photos animées post-mortem.
Véritable sacerdoce, Angelin Preljocaj immortalise ce que signifie la mort et la disparition des êtres tant aimés. Entre requiems classiques et chants grégoriens, Angelin Preljocaj n’hésite pas à plonger le public dans une espèce de sidération totale, en y ajoutant les sons de l’un des plus illustres groupes de hard rock / heavy metal, System of a Down. Tant de nuances musicales pour évoquer un sentiment universel partagé, et en même temps, si intime et personnel. Le directeur du CCN d’Aix-en-Provence rassemble une vingtaine de ses interprètes au sein d’une horde gracieuse dans des rites religieux pour faire corps face à la désolation, une cérémonie à laquelle on ne peut que se réjouir d’être convoqué pour honorer les absents.