Pour sa huitième et dernière année à la tête du sacro-saint Festival d’Avignon, Olivier Py a (encore) été confronté à l’incandescence de l’actualité internationale. Celui qui a déjà marqué de son empreinte personnelle l’univers du spectacle vivant saisit l’occasion d’une ultime édition pour faire du théâtre le miroir du monde.
Il faut dire que les deux mandats du dramaturge n’auront pas été de tout repos. Le rôle de directeur à peine endossé, et alors que sa première édition n’a pas encore eu lieu, Olivier Py fait déjà parler de lui à l’occasion des élections municipales de 2014. Dans les urnes avignonnaises, le Front National arrive en tête des suffrages au premier tour. Un horizon insupportable pour le nouvellement nommé, qui impose un dilemme. En cas de victoire de l’extrême droite, deux solutions : sa démission ou le déménagement du festival. Les résultats du second tour n’obligeront pas à choisir, mais dès lors la messe est dite : le Festival d’Avignon sous Olivier Py sera politique ou ne sera pas.
Désormais responsable du plus grand rendez-vous théâtral de France, ses prises de position sont suivies avec beaucoup d’attention. D’autant que l’auteur et metteur en scène n’a jamais eu pour vocation de modérer ou de taire ses convictions. En témoignent encore ses attaques aux mœurs de l’Église catholique, lui qui s’assume comme chrétien, ou son soutien affiché dans le cadre de l’affaire Théo en 2017.
Plus récemment, Olivier Py a dû faire face à d’autres événements. Des efforts réduits à néant en l’an deux mille vain, à l’heure où la planète entière a cessé de tourner à cause d’un virus. Une édition à demi l’année suivante, alors qu’un espoir de courte durée n’a pas suffi à redonner un souffle au spectacle vivant. Et nous voici en 2022, les masques à peine retirés, les QR codes à peine effacés, dans un monde qui ne demande qu’à basculer.
Lorsqu’à l’école, on nous apprend à analyser une œuvre, quelle qu’elle soit, on nous demande de faire attention au moindre détail. On interprète, on imagine, on extrapole des messages que l’auteur lui-même n’a jamais eu l’intention de faire passer. J’ai toujours trouvé cet exercice ridicule. Et puis avec le temps, et malgré la technologie, malgré les filtres, en dépit des apparences, on finit par se rendre compte que le concept même de symbole est surpuissant. Ce concept de symbole, cette idée de ce qui se comprend sans vraiment se dire, fait viscéralement partie du théâtre d’Olivier Py.
C’est pourquoi, lorsque le directeur du Festival d’Avignon annonce ouvrir sa prochaine édition avec un spectacle de Kirill Serebrennikov, tout en prévoyant de la clôturer aux côtés des Dakh Daughters, on saisit toute l’essentialité de l’art – un principe oublié depuis que les artistes ont choisi de se battre en silence face à une adversité trop bruyante et sourde. Le symbole est fort car le 76e Festival d’Avignon commencera avec un metteur en scène russe, ennemi du Kremlin parce qu’aimant la liberté, à ce jour interdit de quitter Moscou du fait de son innocente culpabilité. Le symbole est fort car le 76e Festival d’Avignon se terminera avec des musiciennes ukrainiennes invitées par un Olivier Py travesti, sur un accompagnement de l’Orchestre National Avignon Provence.
Alors oui, le Festival d’Avignon sera profondément politique ou ne sera pas. À l’heure où la frontière s’efface entre les bons et les mauvais. À l’heure où des chefs d’orchestre, des danseurs, des sportifs se voient claquer la porte au nez du simple fait d’une nationalité renseignée sur un passeport. À l’heure où nous avons tendance à taper un peu partout sous prétexte qu’on va bien finir par viser juste. À cette heure-ci, il est bon de se rappeler qu’il n’y a pas si longtemps, on voulait à tout prix distinguer l’homme de l’artiste… Et on voudrait aujourd’hui faire porter à l’artiste la responsabilité de sa naissance ? Ce monde n’a aucun sens.
Il y aurait tant de choses à dire sur cette 76e édition. La danse de Jan Martens, la photographie de Christophe Raynaud de Lage, les contes d’Igor Mendjisky, le théâtre de Simon Falguières, la présence de Shakespeare toujours… Il y aurait tant à dire, mais pour une fois le spectacle attendra. Car le symbole est certes fort mais il ne dure qu’un instant. Nous aurons tôt fait de l’oublier quand le spectacle, lui, continuera.