Entretien avec Raymond Depardon : « Je suis à la fois une pièce rapportée et un observateur de ce territoire. »

Le Pavillon Populaire de Montpellier a présenté la nouvelle exposition événement de Raymond Depardon Communes. Pour réaliser cette série, le photographe est parti à la découverte des villages de notre territoire pour leur apporter un regard singulier et contemporain. Nous avons rencontré Raymond Depardon qui s'est prêté au jeu de l'interview avec une grande générosité. Il nous parle de ses expositions en cours, mais aussi de son attachement aux richesses de notre région.

Thibault Loucheux-Legendre
Thibault Loucheux-Legendre  - Rédacteur en chef / Critique d'art
8 mn de lecture

Vous présentez « Communes » au Pavillon Populaire, pouvez-vous nous présenter cette exposition ?

Le Pavillon Populaire a cette chance d’être un lieu ouvert et gratuit sur l’Esplanade à Montpellier et je suis très heureux d’y exposer mes photos. Pendant le premier confinement je suis tombé par hasard sur le permis de Nantes, qui avait beaucoup fait parler de lui car il permettait l’extraction du gaz de schiste. Les populations et les élus se sont bagarrés pour annuler ce permis et toute cette région a été sauvegardée de l’extraction du gaz de schiste qui aurait pu avoir lieu et être une catastrophe pour l’environnement. Quand j’ai vu cette liste il y avait un certain nombre de villages que je connaissais car je viens depuis une trentaine d’années en Occitanie et je savais qu’il y avait de très beaux villages. Cela m’a donné un prétexte et une feuille de route pour aller visiter ces villages et les photographier. Je savais que ces lieux allaient m’intriguer. Je me suis rendu compte rapidement que ces villages étaient restés très authentiques tout en ayant en même temps pas mal changé. Beaucoup avaient été réhabilités. Il y avait des travaux… Je me suis alors demandé comment les photographier ? Alors j’ai pensé à les photographier en vertical, en noir et blanc avec un nouveau film très contrasté qui donnait une ambiance austère. 

Comment avez-vous organisé votre parcours photographique ?

C’était bien parce que je voulais avoir un point de vue, je ne voulais pas que ces villages soient trop jolis, qu’ils aient l’apparence du plus beau village de France ou ce genre de chose… Ce sont des régions viticoles ou agricoles avec des difficultés : des hivers longs, le progrès arrive difficilement avec de nombreux travaux pour l’isolation, l’humidité… Il y avait une certaine désertification, mais aussi une reprise en main de ces villages. C’est pourquoi je me suis attaqué de manière subjective et un point de vue à ces villages. Je me donnais deux ou trois heures pour visiter un village et je tombais comme ça sur une photo qui m’intéressait ou d’autres ou je repartais. En un mois j’ai dû faire trois ou quatre cents photos en un mois. Je ne savais pas trop quoi en faire de ces photos avant de les montrer à un ami qui est le directeur de la Fondation Cartier à Paris et il trouvait que ces photos étaient très modernes, avec une hauteur, verticales, sans personnage, sans rien et c’est comme ça que le catalogue s’est fait avec la Fondation Cartier. Je les ai également montrées au maire de Montpellier Michael Delafosse et à Gilles Mora le directeur artistique du Pavillon Populaire. Comme j’habite maintenant à côté de Montpellier, c’est l’occasion aussi de travailler sur le territoire.


Vous êtes attaché à ce territoire ?

Oui, il est riche, il a des oppositions avec ces histoires de religions… Il y a la contradiction et le paradoxe du tourisme, l’amélioration de l’urbanisme… C’est un territoire en plein mouvement. En partant du littoral on traverse un certain nombre de régions qui sont regroupées sur le terme d’Occitanie. Je connais bien ce territoire depuis trente-cinq ans maintenant et puis j’avais filmé des paysans en Lozère un peu au-dessus. J’ai beaucoup traversé ces régions en roulant, hors saison pour aller voir les gens. J’y ai aussi la famille de ma femme. Je suis à la fois une pièce rapportée et aussi un observateur de ce territoire. Je vois les choses qui bougent et qui changent. Et puis je vois les photographes parisiens ne pas faire trop de territoire parce qu’ils sont souvent occupés par d’autres choses. Moi ça m’intéressait de voir où les gens vivent avec cet adage : « montre-moi où tu vis, je te dirais qui tu es. » Il faudra refaire ce travail dans vingt ou trente ans et laisser ces photos à l’histoire pour voir ce qui a changé.

Vos photographies sont un regard contemporain sur des lieux marqués d’histoire. Ce lien passé/présent vous intéresse ?

Oui bien sûr. C’est pour cela que j’ai voulu faire ce noir et blanc, cette verticalité… Ce sont presque des œuvres d’art contemporain. La question c’était comment photographier ces vieilles pierres, ces enduits… La photo avec ce parti pris peut le moderniser et le faire rentrer dans l’art contemporain. 

Vous persistez et signez avec l’argentique, le numérique ne vous intéresse pas ? C’est une question de geste ou de matière ?

En cinéma je suis déjà passé en numérique mais en photo non. Je ne suis pas pressé. Oui le geste et la matière sont importants. C’est aussi une façon d’être cohérent avec mes premières photos. Je suis un des derniers survivants de cette période. J’ai 79 ans, autant rester en argentique. Je ne sais pas combien d’années j’ai encore à vivre… Je vois bien que le numérique fait des progrès énormes, mais l’argentique est encore là, alors je reste encore en argentique.

Photo : Peter Avondo – Snobinart

Vous exposez également à l’Institut du Monde Arabe à Paris, est-ce que vous pouvez nous parler de cette exposition ?

J’avais des photos que j’avais faîte en 1961 durant la dernière année de l’Algérie Française. J’avais fait ces photos dans les rues d’Alger quand j’avais 19 ans. Elles n’avaient pas trop été publiées… En parlant avec Claudine Nougaret, ma femme, elle m’a dit tu devrais travailler quelque chose avec l’écrivain Kamel Daoud qui vit à Oran. Nous sommes allés le rencontrer et il a été assez touché par ces photos. J’étais jeune, j’avais fait ces photos sans intention, comme j’ai pu. Il m’a dit que ce serait bien que je revienne refaire des photos à Alger et Oran, c’est ce qu’on a fait avant de contacter l’Institut du Monde Arabe pour organiser cette exposition. Nous allons fêter dans quelques mois le soixantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie et des accords d’Evian. C’était bien de travailler avec Kamel Daoud, au départ j’allais à nouveau faire un livre franco-français, et là étions un binôme franco-algérien. Ces photos appartiennent aussi à l’histoire algérienne. C’est aux Algériens de se les approprier. L’idéal serait d’organiser une exposition là-bas aussi pour que les gens puissent découvrir ces photos comme un témoignage.

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Par Thibault Loucheux-Legendre Rédacteur en chef / Critique d'art
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Après avoir étudié l'histoire et le cinéma, Thibault Loucheux-Legendre a travaillé au sein de différentes rédactions avant de lancer Snobinart et de se spécialiser dans la critique d'art contemporain. Il est également l'auteur de plusieurs romans. 06 71 06 16 43 / thibault.loucheux@snobinart.fr
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