Les œuvres du Nouveau Réalisme s’exposent. S’il reste l’un des derniers courants artistiques français majeurs, cela fait plus de soixante ans qu’il fut théorisé par Pierre Restany… Alors pourquoi le Nouveau Réalisme continue à fasciner ?
Le Nouveau Réalisme arrive dans un contexte historique tout à fait singulier. Au milieu des années 1950, la France connaît une période de profonde mutation. Après avoir connu les traumatismes de la Seconde Guerre mondiale, l’industrie, la technologie et la communication française se développent, ce sont les débuts de la société de consommation et le pays redevient riche. Du point de vue artistique, la scène parisienne piétine et perd sa place de capitale artistique face aux États-Unis qui dominent avec l’École de New-York (action painting, expressionnisme abstrait…).
En 1955, Pierre Restany est un jeune critique de vingt-cinq ans qui constate à la fois le développement économique et social du pays et la stagnation artistique abstraite à Paris. Pour lui, l’art s’est éloigné de la réalité et du quotidien de l’époque. Il connaît déjà Arman depuis quelques années et l’artiste demande au critique d’écrire un texte pour son ami Yves Klein afin qu’il puisse participer à une exposition chez Colette Allendy. Restany accepte de rencontrer Yves Klein pour découvrir ses monochromes de différentes couleurs. Très rapidement, au contact de Klein, Restany se rend compte qu’il existe une autre face de l’art qui n’a pas encore été explorée. Ce nouveau langage artistique émerge tout en étant conditionné à l’évolution de la société. Yves Klein devient alors l’antithèse de la scène parisienne reposant sur des acquis de lutte sans espoir contre New York. À partir de sa rencontre avec Klein, le critique s’aperçoit que certains artistes franchissent les barrières de l’imaginaire et utilisent leur art pour accéder à un changement de dimensions. C’est alors que d’autres artistes rejoignent le mouvement comme Arman et ses accumulations, Jean Tinguely et ses sculptures animées, les décollages de Raymond Hains, Jacques Villeglé et François Dufrêne, les piégeages d’objets de Daniel Spoerri et les créations pop de Martial Raysse… Finalement, le Nouveau Réalisme est fondé par Restany et ces artistes au printemps 1960 à l’occasion d’une exposition les regroupant à la galerie Apollinaire à Milan. Un an plus tard, César, Niki de Saint Phalle, Mimmo Rotella et Gérard Deschamps les rejoignent. Tous ces créateurs aux pratiques différentes sont réunis autour d’une proposition de « nouvelles approches perspectives du réel ».
Ces artistes opèrent un retour à la réalité sans tomber dans une peinture figurative, réaliste… En effet, ils utilisent des matériaux ou objets de leur époque qui ont peu de valeur pour les transformer en œuvre d’art. En plus d’être une source d’inspiration, la société industrielle d’après-guerre devient également une matière de création. Cette société de consommation produit des objets, les accumule, les utilise, les collecte, les détruit, les déchire, les brûle… Ces mêmes gestes que les protagonistes du Nouveau Réalisme pratiquent dans la réalisation de leurs créations.
Comment penser le Nouveau Réalisme aujourd’hui ? En quoi ces artistes s’inscrivent encore dans la contemporanéité des années 2020 ? Comment se fait-il que leurs œuvres continuent à fasciner autant que leur pratique ?
Si vous allez chercher les influences des étudiants aux Beaux-Arts, très peu vous citeront des protagonistes du Nouveau Réalisme… Pourtant, les sujets abordés et les techniques de production de ces mêmes étudiants sont directement ou indirectement hérités de ce mouvement artistique. Le thème de l’écologie, omniprésent dans la création actuelle et dans les expositions qui sont montrées, est étroitement lié à celui de la surproduction et de la surconsommation. Les jeunes artistes de notre époque sont encouragés, pendant et après leurs études, à utiliser des matériaux de récupération dans le but d’avoir une démarche cohérente tout en limitant leur impact écologique. Les thèmes, les matériaux, les gestes… sont un héritage de ceux pratiqués par les Nouveaux Réalistes. Mais des différences demeurent. Le siècle n’étant pas le même, les artistes d’aujourd’hui qui ont épousé la cause et l’abordent dans leur pratique ont tout de même évolué avec leur époque, préférant se positionner sur un langage engagé (voire culpabilisant ?) là où les Nouveaux Réalistes étaient plus perçus comme des témoins artistiques d’une époque. L’instinct jouait un rôle capital chez César, Arman et les autres, là où les productions actuelles semblent vouloir être maîtrisées par leurs créateurs qui agissent à l’unisson d’une époque encore plus portée sur les excès. Le risque qui réside aujourd’hui pour ces artistes est de tomber dans un discours et une pratique extrêmes qui négligeraient la forme et l’esthétique.
Si les Nouveaux Réalistes ont une influence indirecte sur les jeunes artistes, ils continuent à avoir la cote sur le marché de l’art. Nombreuses sont les œuvres de César et Arman présentes dans les foires d’art contemporain. Jacques Farran, commissaire-priseur à l’étude Farran Enchères nous fait un panorama des ventes issues du mouvement : « Si nous regardons les records du monde, pour César c’est un pouce monumental en bronze de presque 6 mètres vendu 1 050 000 euros en 2007. C’est intéressant de regarder les compressions qui sont desœuvres typiques du Nouveau Réalisme, le record est de 291 000 euros. Arman c’est 430 000 euros, Niki de Saint Phalle 800 000 euros… Du côté des décollagistes c’est Mimmo Rotella avec une vente à 1,1 million. En 2011, L’Année dernière à Capri de Martial Raysse a réalisé le plus haut prix jamais réalisé pour un artiste vivant avec 4,8 millions d’euros avant d’être détrôné par Soulages deux ans plus tard. Klein c’est une anthropométrie vendue à 27 millions d’euros. Yves Klein c’est un artiste qui transcende le mouvement en lui- même. De la deuxième partie du XXe siècle je pense que c’est le plus grand artiste français. Ici nous abordons uniquement le marché par le record du monde, évidemment c’est une analyse lacunaire, mais après tout c’est peut- être la façon la plus spectaculaire d’envisager la question. Il y a des pièces qu’on voit beaucoup comme les multiples d’Arman, des dessins et des compressions de César… C’est une cote qui progresse, qui est sûre, ce sont des artistes de renommée internationale ». Si certaines pièces des Nouveaux Réalistes ont battu des records, d’autres restent accessibles. Dans notre interview à retrouver page 17, Marc Stammegna nous dit : « Même si ça représente de l’argent, ce n’est pas très cher par rapport à ce qui se fait aux États-Unis. Et là nous sommes avec des artistes avec de véritables racines qui plaisent énormément aux collectionneurs ». La réflexion intellectuelle, la démarche et l’esthétique qu’ils ont développées ont marqué l’histoire de l’art et continuent à fasciner.