Vous venez de sortir un livre, pouvez-vous nous le présenter ?
Il s’appelle ORLAN strip-tease tout sur ma vie tout sur mon art. C’est aux éditions Gallimard, une jeune maison d’édition que je soutiens beaucoup.
Pourquoi strip-tease ?
Parce que je pense que le strip-tease n’existe pas pour une femme. C’est impossible d’enlever tous les a priori, toutes les idées, toutes les images, tous les stéréotypes que l’on a sur les femmes. Cela on ne peut jamais s’en dévêtir.
Vous venez à Montpellier et Sète, que pensez-vous du développement de l’art sur ce territoire ?
C’est difficile parce que je ne connais pas suffisamment ces espaces et ces lieux pour avoir un avis. Je suis heureuse d’être venue au Mo.Co parce que c’est un endroit intéressant qui réunit une école des Beaux-Arts, un musée et la Panacée. C’est un endroit très important pour l’art et les nouvelles technologies. Moi qui m’intéresse beaucoup à ce sujet cela je trouve que c’est important. C’est aussi un endroit très convivial avec un bar un restaurant et un jardin…
Comme beaucoup d’artistes vous utilisez les réseaux sociaux. Ils ont cette ambiguité d’offrir une visibilité aux artistes tout en pratiquant la censure. Quel regard portez-vous sur ces pratiques ?
C’est terrible ce qu’il se passe en ce moment, c’est même insupportable. Je sais qu’il y a un projet contre Instagram que je soutiens. C’est absolument hallucinant qu’une femme ne puisse pas montrer un sein sur ce réseau social alors que l’on peut montrer des seins d’hommes. Qu’il n’y ait pas de seins de femme visible, qu’on les floute, qu’on ferme tout de suite le compte de la personne qui a montré cela… C’est hallucinant… Toutes mes œuvres sont justement sur des strip-tease historiques que j’ai faits il y a fort longtemps et qui sont passés de partout. Aujourd’hui nous sommes dans une époque qui censure, comme on a reculotté tous les chefs d’oeuvres de Michel-Ange dans la chapelle sixtine. C’est absolument dégueulasse ce qui est en train de se passer. Il devrait y avoir des manifestations dans la rue contre ces pratiques.
Votre combat féministe existe depuis plusieurs décennies, comme celui d’autres artistes comme Marilyn Minter que nous avions rencontré il y a quelque temps. Pourtant, il y a toujours une majorité masculine qui est exposée. Voyez-vous malgré tout un changement qui tendrait vers un moment de basculement ?
Non pas vraiment justement. Il y a deux pas en avant trois pas en arrière sans arrêt. C’est absolument terrible. Il y a tout de même plus de femmes qui exposent, il faut le reconnaître, mais qui exposent souvent à un niveau petit ou moyen. Mais pour être dans le grand marché, c’est extrêmement difficile. Dans le milieu de l’art il y a aussi un machisme absolument hallucinant. Vous savez ce que disent les Guerrilla Girls : « être une femme artiste c’est fantastique ! Notre carrière peut exploser dès 80 ans ! » Alors moi je suis très optimiste parce que j’ai passé beaucoup années qui me rapprochent de la gloire. Mais je trouve insupportable ce qu’il se passe dans le milieu de l’art. C’est à la fois le fait des hommes mais aussi des femmes. Il y a beaucoup de femmes qui sont dans les musées et les centres d’art, mais ça ne veut pas dire qu’elles laissent passer les femmes artistes.
Quand vous rencontrez des étudiantes, ça vous fait plaisir de voir qu’elles veulent changer les choses ?
J’espère qu’elles pourront changer les choses. Mais le plus important, c’est que les hommes changent les choses. Que toutes les mentalités changent, que ce soit chez les femmes ou chez les hommes. On passe, mais c’est toujours à l’arraché, et c’est toujours sans aller au plus haut.
Beaucoup de gens retiennent vos performances de chirurgie esthétique, si une seule de vos œuvres devait connaître la postérité vous choisiriez laquelle ?
Je n’aime pas ces questions comme « si vous étiez sur une île déserte qu’est-ce que vous emporteriez ? »… Mais il est vrai que je ne suis pas une artiste qui soit assujettie à un style à une technologie ou à un matériau. Donc je ne suis pas une artiste de la performance, je suis une artiste tout court. Mon œuvre est passée par des sculptures en marbre de Carrare, par la culture de mes cellules, de ma flore vaginale ou de ma flore intestinale, mais aussi par l’intelligence artificielle comme mon Orlanoide. Ce robot parle avec ma voix car j’ai enregistré 22 000 mots qu’on a mis dans des mp3 séparés et qui a un générateur de textes, et au fur et à mesure que les textes s’inscrivent dans les écrans, l’Orlanoide est capable de les dire en direct avec ma voix. Donc j’ai fait des choses extrêmement diversifiées. J’essaye de dire des choses importantes pour mon époque et d’attaquer des phénomènes de société comme le harcèlement du football, les idées de beauté et les stéréotypes de models et de chirurgie esthétique.
Recueilli par Thibault Loucheux