37° à l’ombre : Entretien avec Marie Bernard et Ruben Chehadi

Implantée sur le territoire montpelliérain depuis leur sortie du cours Florent, la compagnie La Barak s'est engagée depuis trois ans dans un projet de grande envergure. Sous la houlette de Marie Bernard et Ruben Chehadi, elle est aux commandes d’un festival de théâtre nouvelle génération : 37° à l’ombre. Pour cette troisième édition, tandis que l’événement se structure et s’élargit toujours davantage, rendez-vous est donné du 27 au 29 septembre à Blauzac, près d’Uzès, où se situe l’épicentre historique du festival : le domaine viticole de Malaïgue. Rencontre avec les artistes à l’origine de ce projet.

Peter Avondo
Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
8 mn de lecture

D’où est née l’idée de ce festival ?

Marie Bernard : C’est né en 2020, quand on n’avait plus eu le droit de jouer nulle part et que tout était fermé. On sortait des cours Florent, on était un gros groupe avec la compagnie La Barak, et on avait plein de projets qu’on ne pouvait pas montrer. On a organisé une soirée dans le jardin de mes parents à Uzès, avec des représentations pour les amis et la famille. On a renouvelé ça l’année suivante et le domaine de Malaïgue nous a proposé de venir faire quelques représentations chez eux. Ça nous a ouvert des portes, on s’est dit qu’on allait essayer de le faire vraiment, de faire un vrai festival. C’était aussi une période où on proposait nos projets dans des festivals sans être jamais pris. On s’est dit « on va se faire jouer nous-mêmes, c’est pas grave ».

Quelle est l’identité que vous avez voulu donner d’emblée au festival ?

Ruben Chehadi : Sortir des villes, jouer hors les murs, aller un peu plus dans les territoires. En extérieur mais sans prétention, amener le théâtre là où il est peut-être moins à voir. C’est vraiment venu de là, pour promouvoir nos projets et les compagnies émergentes de la région. C’est une ligne qu’on essaie de tenir, même si cette année on a dû déroger un peu à cette petite règle, mais on va aussi travailler avec des compagnies parisiennes.

Marie Bernard : Il y a un truc qui revient, je ne sais pas si c’est conscient ou inconscient, mais c’est une question générationnelle quand même. Depuis la première édition, toutes les compagnies et toutes les pièces qui ont été programmées sont des gens qui sont à peu près de notre génération, entre 20 et 35 ans.

Ruben Chehadi : Cette année, on a essayé de viser gros, on s’est donné les moyens, on n’a jamais passé autant d’appels ni rencontré autant de gens qu’on ne pensait pas avoir. Ça nous donne plus de consistance et de confiance de dire : « on a réussi à appeler ces personnes ». Les trois projets extérieurs à la région ont déjà un bagage et beaucoup de projets, comme Viril(e·s) de Marie Mahé qui sera au CDN de Strasbourg en novembre. Ces gens nous font confiance.

Qu’est-ce qui détermine la programmation du festival ?

Ruben Chehadi : C’est la grande question. Il y a une grande valeur ajoutée qui est de l’ordre de notre sensibilité, qui n’est des fois pas la même. C’est ce supplément qui ne s’explique pas. C’est aussi selon de quoi ils parlent, de quelle énergie circule au plateau, quelle dynamique ils engrangent avec ce qu’ils proposent… En revanche, il y a un mot d’ordre et un point d’honneur auquel on ne veut plus déroger, c’est qu’on doit avoir vu la pièce.

Tu évoques ce dont ils parlent, les thématiques abordées ont aussi leur importance ?

Ruben Chehadi : Oui, mais ce n’est pas prédéterminé. Ça balaie un spectre très large d’autrices et d’auteurs. Avec La Barak, on propose des choses très différentes chaque année, on n’est vraiment pas fermé. Cette année, il s’avère que ce sont des écritures au plateau qui viennent. C’est de l’ordre de notre sensibilité.

Marie Bernard : C’est vrai qu’on a commencé par des textes contemporains et puis ça commence à dériver. Cette année, on a failli avoir du Marivaux, notre compagnie présente Othello et Platonov… Donc oui, c’est large.

Justement, qu’en est-il de la programmation ?

Marie Bernard : Le vendredi soir, on ouvre le festival avec Othello mis en scène par Ruben. Samedi après-midi, la compagnie DTM 9.4 sera sur la place de l’église avec Viril(e·s), puis à 21h ce sera de nouveau notre compagnie avec Platonov mis en scène par Romain Ruiz. Le dimanche, c’est la compagnie Rascar Capac avec un seul en scène qui s’appelle Juliette à 15h puis Nique sa mère la réinsertion à 18h. Et le soir on clôture le festival par un concert de Lucas Bernard. Cette année, on a aussi la chance de collaborer avec l’école de Blauzac. On leur propose un spectacle jeune public qui s’appelle Le Petit Poucet de la compagnie Quasar, qui fera aussi une représentation ouverte au public le samedi matin.

C’est la première fois que vous sortez du domaine de Malaïgue ?

Marie Bernard : Oui, c’est venu d’une proposition du maire, une sorte de première collaboration avec le village. C’est une possibilité pour nous de venir montrer ce qu’on fait en-dehors des murs du domaine. Ça se passe le samedi après-midi aussi pour qu’on puisse dire : « Venez voir, il se passe d’autres choses après ».

Ruben Chehadi : C’est venu d’un désir commun. Et on ne s’emballe pas, mais on pense déjà à l’édition d’après, qui sera certainement amenée à bouger. Le festival tel qu’il existe depuis trois ans ne ressemblera pas du tout à celle qu’on donnera à voir l’année prochaine. On aimerait que ça reste un lieu de diffusion, mais on veut aussi élargir à un lieu de création avec une résidence d’artistes, créer localement et in situ… On a déjà pas mal de choses en tête, on s’est beaucoup inspiré du Festival Situ de Lara Marcou et Marc Vittecoq. Ça fait sens et ça continue à rentrer dans notre ADN, dans ce qu’on veut faire avec la compagnie, s’inscrire plus dans le territoire.

Financièrement, comment fonctionne le festival ? Qui vous soutient ?

Marie Bernard : Jusque-là, il n’y avait personne. C’était en autofinancement, on avançait personnellement les dépenses pour se rembourser ensuite avec la billetterie et la buvette. On vend nos propres repas, ça permet aussi de nourrir les équipes. Et cette année, la mairie de Blauzac nous apporte un soutien financier.

Ruben Chehadi : La première année, il a fallu qu’on serre les dents, mais là ça va être généré par les fonds des deux dernières éditions. On prend un léger risque financier parce qu’on ne sait pas quel revenu on va avoir, mais on ne prend pas de risque artistique vu la qualité des pièces. Et puis on va se battre pour avoir des subventions l’année prochaine.

Au-delà du soutien financier, il y a toute une équipe qui travaille à ce festival…

Ruben Chehadi : lI y a entre vingt et trente personnes impliquées, sans parler des soutiens techniques et matériels. Ça n’existerait pas sans eux, ni sans la famille de Marie ou le Domaine de Malaïgue qui nous accueille. Ils nous font d’ailleurs le cadeau d’honneur de faire une cuvée de vin rouge à notre nom, cette année…


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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse. 06 22 65 94 17 / peter.avondo@snobinart.fr
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