Son dernier film datait d’il y a six ans. Une bien longue attente donc depuis la sortie du brillant Gone Girl en 2014. Entretemps le réalisateur et producteur américain n’a pas chômé, loin de là. En 2013 est le début d’une longue collaboration avec Netflix, ou il produit la première série originale de la plateforme de streaming, House Of Cards. Puis en 2018 il s’attaque à l’excellente série policière Mindhunter, également en tant que producteur dans un premier temps, avant de s’y investir en profondeur et de devenir l’un des showrunners de la série. C’est après la production éprouvante de la deuxième saison que David Fincher ressent le besoin de revenir à un projet plus modeste. Il ressort alors du placard un scénario écrit par son père, Jack Fincher (ancien journaliste et rédacteur en chef de Life Magazine). Un projet familial avorté il y a de nombreuses années, qui voit finalement le jour en 2020.
Mank relate le parcours du scénariste américain Herman Mankiewicz dans les années 30, qui est chargé d’écrire le scénario de ce qui deviendra par la suite l’un des plus grands films de tous les temps, Citizen Kane.
On peut aisément penser que le film va diviser. David Fincher est réputé pour être un maitre en matière de thriller. Un genre qui domine assez largement sa filmographie, avec notamment Se7en (1995), Fight Club (1999), Zodiac (2007) ou encore Millenium : Les Hommes qui n’aimaient pas les Femmes (2011). Cette fois-ci, le cinéaste décide de s’aventurer dans un tout autre registre. Un biopic en noir et blanc sur une personnalité inconnue du grand public. Il s’agit indéniablement du film le moins « Fincherien » de sa carrière. Le pari est risqué, et ne plaira sans doute pas à tout le monde. Il n’en reste pas moins que Mank est une fresque passionnante et que le film est grandement réussi. Fincher nous fait découvrir un personnage fascinant, bourré de contradictions. A la fois talentueux, drôle et très intelligent, l’alcoolisme rendra aussi Mankiewicz instable, souvent extravagant et pathétique. Une fois encore, Gary Oldman est saisissant. Toujours impliqué à fond dans son rôle, il incarne à merveille cet homme faisant face, en plus de l’alcool, à la pression des producteurs, et du jeune Orson Welles pour que le film se fasse dans les délais.
L’un des points forts du film réside dans son écriture. Fincher ne se contente pas de nous montrer la préparation presque chaotique de Citizen Kane. Il nous replonge totalement dans les années 30 par tous les moyens. Le choix du noir et blanc bien sûr, la bande-son comprenant à la fois des morceaux de jazz, et une bande originale qui n’est pas sans rappeler celles de l’époque (on pense à Bernard Hermann notamment). Mais surtout, il y a une remise en place du contexte politique et social de cette période : Grande Dépression, chômage, studios d’Hollywood en difficulté économique, regard préoccupé des Américains sur la montée du nazisme en Allemagne… Les élections du gouverneur de Californie de 1934, dans lesquelles la MGM (Metro Goldwyn Mayer) était pleinement impliquée, sont mêmes au centre de l’intrigue. Bref, tout est fait intelligemment pour nous faire redécouvrir cette période comme si nous y étions. Mankiewicz est un homme spontané, plein d’autodérision. Fincher en profite et s’en donne à cœur joie pour nous offrir également de nombreux dialogues savoureux.
Comme l’on pouvait s’y attendre, David Fincher a fait en sorte que Mank ressemble sur certains points à Citizen Kane. Dans les grandes lignes, il s’agit dans les deux cas de la descente aux enfers d’un homme qui semblait avoir tout pour réussir. Sur la forme, si le film contient quelques plans plus « modernes », la réalisation est dans son ensemble semblable à ce qui pouvait se faire à cette époque, avec l’importante présence des fondus enchainés notamment. Citizen Kane est connu en particulier pour son travail exceptionnel de la photographie, de la lumière. Mank essaye modestement d’en faire autant en nous proposant quelques plans sublimes. Le nouveau film de David Fincher est donc un pari réussi. Si on le retrouve souvent dans le même registre, ce n’est pourtant pas la première fois que le cinéaste réussi à nous surprendre. Comme lorsqu’il s’attaquait à l’adaptation de L’Etrange Histoire de Benjamin Button en 2008, ou encore au très acclamé The Social Network en 2010. Mank restera un film à part dans sa filmographie, et est sans aucun doute le plus personnel. Comme souvent chez Fincher, tout est très soigné et le résultat est propre. L’un des films à voir en cette fin d’année ciné si particulière.
Mank de David Fincher, est disponible sur Netflix depuis le 4 décembre.