Pouvez-vous nous décrire votre parcours ?
J’ai un parcours pas très classique, même si la plupart des parcours ne le sont pas. Avant d’écrire j’ai fait des études d’ingénieur des eaux et des forêts et j’ai travaillé dans le milieu de l’écologie. J’ai travaillé pendant douze ans dans ce qu’on appelle les milieux de protection de la nature et plus particulièrement dans les parcs nationaux. Je suis allé en Guyane où je me suis occupé du projet de création du parc national, en Guadeloupe où j’étais directeur adjoint du parc national… J’ai beaucoup évolué dans ces milieux-là pendant pas mal d’année qui m’ont beaucoup marqué. Je n’étais pas du tout destiné à écrire des romans. J’ai commencé à écrire mon premier roman Les Hamacs de cartons en 2008 quand je revenais de Guyane pour Paris. Les gens que j’avais rencontrés, les situations que j’avais vécues étaient encore très présentes en moi… J’en parlais tout le temps… C’est là que j’ai eu l’impression de détenir peut-être quelque chose qui méritait d’être raconté. C’était une vraie volonté de témoignage, j’avais envie de parler des Guyanais, du quotidien des gens là-bas, de ce que j’avais vu. Ce premier roman est sorti en 2012. Il n’y avait aucun calcul ou projet derrière, mais l’écriture a pris de plus en plus de place dans ma vie jusqu’à ce que ça devienne mon activité principale aujourd’hui puisque je ne fais plus que ça maintenant.
Avant l’écriture, il y a souvent des lectures. Avez-vous lu des livres ou des auteurs qui ont pu être déterminants ?
Je ne crois pas… Pas de manière globale en tout cas. Chaque livre que j’écris est effectivement influencé par des lectures, mais ce ne sont pas toujours les mêmes. C’est peut-être pour ça aussi que mes livres diffèrent dans la manière que je peux avoir de les écrire… Chaque année je lis des livres qui me bousculent et qui m’influencent dans mes romans futurs. Ceux qui ont pu m’influencer pour mon premier roman ne sont pas du tout les mêmes que ceux qui m’ont influencé pour les suivants. Pour moi, les références littéraires c’est quelque chose de dynamique qui évolue chaque année. Je n’ai pas d’auteur que je considère comme ma référence ultime. J’en avais à une certaine époque, mais à un autre moment c’était d’autres… Pour Darwyne il y a eu un livre qui a été assez déterminant que j’ai lu il y a quelques années qui s’appelle My Absolute Darling de Gabriel Tallent qui est un auteur américain. C’est l’histoire d’une adolescente qui vit avec son père qui est abusif. C’est l’histoire d’une émancipation, comment cette adolescente va parvenir à se libérer de l’emprise de son père. Ce livre a été pour moi assez important pour l’écriture de Darwyne.
Je me permets de vous poser une question qui est toujours délicate pour les écrivains : pouvez-vous nous résumer Darwyne ?
Je peux vous en dire quelques mots en tout cas (rire). C’est l’histoire d’un enfant qui s’appelle Darwyne, qui a une dizaine d’années. C’est un enfant déchiré entre l’amour total, inconditionnel et l’admiration sans norme qu’il a pour sa mère et la forêt amazionenne. Il vit juste à côté de la forêt dans une petite baraque. On va découvrir dans cette histoire qu’il entretient un lien très particulier avec la forêt et très intime, presque magique. C’est vraiment l’histoire d’un enfant déchiré entre sa mère et la forêt, et à la croisée des chemins il va devoir faire des choix.
Vous abordez le thème de l’enfance, pourquoi maintenant dans votre parcours littéraire ?
Ce serait dur à expliquer, il faudrait décortiquer beaucoup… C’est un sujet que j’ai déjà abordé dans mes livres précédents mais effectivement de manière moins directe. Dans Darwyne il y a vraiment les questions de l’enfance, de la maternité, de l’éducation… La maltraitance est très présente dans le livre… Je pense que ce sont des sujets qui m’ont toujours beaucoup travaillé sans trop savoir pourquoi je l’aborde à ce moment de ma vie… Il m’a semblé important d’en parler vraiment. Il faudrait que je m’épanche un peu plus sur ma vie personnelle pour avoir une réponse plus précise… C’est une question complexe et intéressante pour n’importe quel livre d’ailleurs, c’est très difficile de savoir pourquoi à un moment de notre vie on a envie d’écrire tel livre. La question pourrait vraiment se poser pour chacun de mes romans. Pour moi le point de départ d’un livre c’est d’abord une envie. Il faut qu’il y ait quelque chose qui provoque suffisamment d’émotion forte chez l’auteur pour avoir envie de s’y plonger longtemps car il faut tenir sur le long terme. Qu’est-ce qui fait qu’à un moment on a cette envie-là ? Il y a des choses qui s’expliquent et des choses qui s’expliquent un peu moins. C’est un mélange d’influences, de lectures, de rencontres, de personnes qu’on a pu croiser, de la situation personnelle dans laquelle on est dans sa propre vie… C’est très difficile à expliquer. Je crois qu’il y a une part de mystère. Il y a aussi des sujets dont on a envie de parler depuis des années et qu’on ne se sait pas trop comment aborder et à un moment donné les choses se débloquent. L’envie peut aussi remonter à très très loin.
Dans Darwyne, la forêt semble être abordée comme un personnage…
Oui la forêt amazonienne m’inspire beaucoup. Cela fait quatre romans que j’écris qui se passent en Guyane et la forêt est souvent présente… Dans Darwyne elle est présente de manière différente, elle est plus vivante, je comprends totalement cette idée qu’on puisse la considérer comme un personnage. Moi ce qui m’intéresse dans la forêt, ce n’est pas tant pour elle-même que la forêt telle qu’elle est vécue par les personnages humains. Chacun de ces personnages humains a son propre rapport à la forêt. Darwyne a ce rapport très intime, pour lui la forêt est un refuge, c’est l’endroit où il se sent le mieux, c’est quelque chose d’extrêmement accueillant. A l’inverse, sa mère Yolanda voit la forêt comme un endroit dont il faut réussir à s’extraire, ça la dégoute, ça lui fait peur… Johnson, le beau-père de Darwyne, débarque dès les premières pages du livre avec sa débroussailleuse, son coupe-coupe et sa machette… Pour lui la forêt est l’ennemi contre lequel il faut se battre, apprendre à la dompter… Chaque personnage a un rapport différent, et c’est ça qui m’intéresse, quand vous dites c’est un personnage… oui c’est un personnage mais à travers les autres. Ce sont les personnages humains qui donnent et qui traitent des intentions à cette forêt. Certains sont persuadés que la forêt leur en veut… C’est une manière d’interpréter le réel, on peut avoir une vision très terre à terre des choses. Il y a toujours une part de mystère dans la forêt. A partir du moment où l’on pénètre à l’intérieur, on sait qu’on ne voit pas très loin parce que l’horizon est bouché par les arbres, donc il y a toujours une part de mystère et elle peut prêter à toutes sortes d’interprétations. C’est un endroit où il se passe des choses qu’on ne sait pas, qu’on ne voit pas. A partir de là, chacun se fait sa propre histoire et sa propre interprétation.
A vous entendre, on pourrait presque comparer la forêt à une religion, une croyance, une divinité ? Certains l’embrassent, d’autres la dénigrent ou en ont peur…
Le terme de divinité qui donnerait une intention à la forêt dans son ensemble me gêne un petit peu parce que lorsqu’on prend les croyances hindouistes ou les autres peuples qui vivent avec la forêt ne la voient pas comme une divinité mais plutôt comme une multitude d’esprits et de croyances associés à toutes les espèces animales et végétales. Tout ça est une question de regard. Chacun des personnages voit les choses à sa manière.
Avez-vous des nouveaux projets littéraires ?
Oui, heureusement sinon ça m’inquiéterait (rire). Je suis en train d’écrire la suite de Darwyne. Si tout se passe bien, cette histoire devrait composer une trilogie. Je suis en plein dans l’écriture.