La lutte victorieuse de Maëlle Poésy avec « 7 minutes »

La troupe de la Comédie-Française est à Montpellier cette semaine. Elle investit la scène du Théâtre Jean-Claude Carrière au Domaine d’O, pour y présenter le dernier spectacle de la metteuse en scène et directrice du Théâtre Dijon Bourgogne, Maëlle Poésy. 7 minutes, un débat haletant entre onze femmes dans les coulisses du libéralisme.

Peter Avondo
Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
5 mn de lecture

Le bruit assourdissant des machines se mêle au brouhaha des spectateurs dans l’attente. La pièce est lancée. Déjà le public et le plateau ne font qu’un, tandis que l’ombre d’une grille d’aération se balance, menaçante, au-dessus des gradins. Dans un face-à-face qui n’a rien d’anodin, la disposition bi-frontale des spectateurs rappelle presque celle d’un ring. Mais le combat qui va se jouer ici est moins physique que politique. Au centre, les étagères d’entrepôt remplies de bobines de fil et de patrons de couture bien ordonnés semblent s’écarter de part et d’autre pour laisser place au débat. De chaque côté du plateau, de grands murs de béton s’imposent pour délimiter un huis clos, comme un étau qui à tout moment pourrait se resserrer sur ces onze femmes.

Onze femmes. Des employées et ouvrières composant le comité d’usine élu par les 200 autres salariées pour défendre leurs droits face aux dirigeants. La pièce, elle, se concentre sur un sujet bien précis. Alors que l’usine vient d’être rachetée par des investisseurs étrangers, ceux-ci assurent vouloir préserver tous les postes, dans les mêmes conditions de travail, avec les mêmes salaires, sous réserve qu’elles acceptent une condition : renoncer à la moitié de leur temps de pause quotidien, soit 7 minutes.

« Depuis que vous avez lu la lettre, vous répétez « sept minutes c’est rien ». J’aime pas ça, j’arrive pas à l’avaler, j’accepte pas. »

À la faveur de la lumière froide et impersonnelle des néons de l’usine, le débat se fait particulièrement audible parce que réaliste. Le texte de Massini, déjà libéré de toute fioriture, prend une ampleur saisissante sous la direction de Maëlle Poésy. Le rythme est mené avec une précision machinique, dans une énergie sous tension que portent les onze comédiennes sans aucune défaillance, sans aucune disparité.

Aux yeux du spectateur, la pièce est d’une simplicité déconcertante. Et comme souvent au théâtre, plus tout paraît simple, plus le travail mené pour en arriver à ce point est important. C’est évidemment, éminemment le cas chez Poésy, qui parvient même à faire ressortir le rare potentiel comique du texte.

Comme les ouvrières et les employées qui évoluent face à nous, nous suivons avec attention, avec curiosité, avec empathie les réflexions des unes et des autres tandis que le temps passe. Encore un élément qui contribue à l’authenticité de la situation. Ce temps qui, au moindre silence, nous revient par le bruit de l’horloge qui égrène les secondes en temps réel, rappelle aussi l’urgence de la nécessité de faire un choix. Cornélien.

Cet instant volé dans la vie d’une usine, porté sur scène par une équipe de grand talent, nous renvoie bien sûr à des événements qui nous sont contemporains, habituels, connus. Dans la bouche de ces femmes, ce sont des sujets forts qui sont abordés sans filtre, sans hypocrisie. C’est la parole vraie, celle de salariées qui habitent le monde et ne le dirigent pas. C’est précisément parce que le théâtre est absent de cette pièce que le théâtre y existe.

Bien sûr que ça fonctionne ! Bien sûr qu’il faut à tout prix découvrir 7 minutes dans la mise en scène de Maëlle Poésy avec la troupe de la Comédie-Française ! Cette pièce n’est pas seulement efficace, elle est essentielle.

DE
STEFANO MASSINI
MISE EN SCENE
MAELLE POESY
AVEC LA TROUPE DE LA COMEDIE-FRANCAISE
VERONIQUE VELLA, SYLVIA BERGE, CORALY ZAHONERO, FRANCOISE GILLARD, ELISE LHOMEAU, ELISSA ALLOULA
ET
CAMILLE CONSTANTIN, ELPHEGE KONGOMBE YAMALE, MAIKA LOUAKAIRIM, MATHILDE-EDITH MENNETRIER, LISA TOROMANIAN
TRADUCTION
PIETRO PIZZUTI
DRAMATURGIE
KEVIN KEISS
SCENOGRAPHIE
HELENE JOURDAN
COSTUMES
CAMILLE VALLAT
LUMIERES
MATHILDE CHAMOUX
SON
SAMUEL FAVART-MIKCHA
MAQUILLAGES, COIFFURES ET PERRUQUES
CATHERINE SAINT-SEVER
ASSISTANAT A LA MISE EN SCENE
AURELIEN HAMARD-PADIS

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse. 06 22 65 94 17 / peter.avondo@snobinart.fr
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