Derrière une rangée de micros qui tient autant de la tribune politique que d’une cour de justice, une femme est appelée à se défendre. De sa place, restreinte malgré la taille du plateau qui l’entoure, elle paraît déjà écrasée par le monde et la bureaucratie. Les papiers et dossiers s’amoncellent autour d’elle, rendue invisible dans la multitude, sous le regard rapace de celles et ceux qui décident. Pourtant c’est bien à la défense de Carine Bielen, habitée par la comédienne Virginie Colemyn, que le public est tenu d’assister dans À cheval sur le dos des oiseaux. À travers une interprétation particulièrement sensible, le texte de Céline Delbecq trouve un écho poignant dans la mise en scène à quatre mains de Pauline Hercule et Pierre Germain.
Quelque chose de terrible est arrivé. C’est du moins ce que l’on comprend en filigrane tandis que Virginie Colemyn nous adresse les premiers mots de son personnage. Mais tout reste encore à dire, tant les éléments seront disséminés une heure durant, comme les pièces d’un puzzle confié aux bons soins des spectateurs. Dans son écriture, Céline Delbecq fait preuve d’une grande précision, composant son texte comme une partition qui réinvente sa propre ponctuation par les silences et les pauses. Cette musicalité intrinsèque trouve d’ailleurs son pendant au plateau, sous les doigts de Pauline Hercule qui accompagne la logorrhée de cette femme, elle-même détentrice d’une parole qui n’appartient qu’à elle.
À cheval sur le dos des oiseaux est une création de l’équilibre et de la délicatesse. Comme au fil du récit qui nous est fait du personnage central, tout dans cette pièce semble menacer de s’écrouler à chaque instant, mais tout résiste tant bien que mal. Il faut dire que Carine Bielen a vécu toute sa vie aux crochets d’une société dont elle aimerait parfois pouvoir s’émanciper. Placée en foyer à dix ans pour permettre à ses parents d’élever ses frères et sœurs, elle s’est retrouvée prise au piège des injonctions sociales et de l’administration, qui la mènent aujourd’hui à devoir défendre son statut de mère pour garder son jeune fils près d’elle.
Pour autant, la situation semble relever de l’ordinaire. Il n’est pas question ici de grandes envolées tragiques, et c’est probablement ce qui rend cette pièce aussi touchante. La résignation, avec laquelle celle que l’on accuse se soumet aux désirs d’une société qui l’enferme, est d’une violence rare et tacite, d’autant que dans cette normalité, la sensibilité et la justesse dont fait preuve Virginie Colemyn sont glaçantes. La rigueur et l’apathie de la justice sociale rencontrent alors la candeur et la poésie de cette femme jusque dans la scénographie de François Dodet. Emportant tout dans son tourbillon d’émotions, elle place par ailleurs le public dans une posture singulièrement inconfortable.
Car depuis les premiers instants de son audience, c’est bien aux spectateurs que Virginie Colemyn s’adresse comme à un parterre de magistrats. Mais si la disposition scénique ne laisse aucune place au doute, ce rapport scène-salle prend une dimension redoutable à mesure que la situation de cette femme s’éclaircit. Prenant le public à partie, elle le laisse finalement à sa propre responsabilité en tant que société. Cette administration finira de toute façon par décider pour elle, qui trouvera toujours comment voler À cheval sur le dos des oiseaux…
À cheval sur le dos des oiseaux
Création 2025 – TNP Villeurbanne
Crédits
de Céline Delbecq / mise en scène Pauline Hercule et Pierre Germain / avec Virginie Colemyn / musique et bruitage Pauline Hercule / éléments scéniques François Dodet / scénographie de papier Angélique Cormier / lumière Lucas Collet et Michel Abdallah / composition musicale Mathieu Ogier et Pauline Hercule / son Amaury Dupuis et Florent Mallet / costumes Agathe Trotignon / construction Marc Cassar / stagiaire à la dramaturgie Manon Garnier
Dates
- Du 10 au 23 janvier 2025 : TNP Villeurbanne