Les « Trois petits cochons » dans l’abyme de Marion Pellissier

Dans une programmation conjointe avec LE ZEF - scène nationale de Marseille, le Théâtre Joliette présente la nouvelle création de Marion Pellissier : Trois petits cochons, les monstres courent toujours. Avec sa compagnie La Raffinerie, la metteuse en scène propose une adaptation complexe du conte populaire et s’en sert comme matière pour un grand exercice de styles.

Peter Avondo
Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
6 mn de lecture

Elle est dense, la nouvelle proposition de Marion Pellissier qui signe avec sa compagnie La Raffinerie une adaptation du conte des Trois petits cochons. Partant de cette matière connue de tous, elle en adapte une lecture aux multiples niveaux, au cours de laquelle se confondent le récit et la forme. Multipliant les effets de flou comme elle entremêle les genres, la metteuse en scène semble avant tout donner lieu à un grand exercice de styles, quitte à parfois occulter son propos au profit de démonstrations théâtrales. Impossible, pourtant, de passer sous silence la cruauté glaçante, oppressante – humaine, donc –, qu’elle développe au travers du personnage du grand méchant loup.

Des Trois petits cochons, Marion Pellissier n’aura gardé que l’essentiel : un frère et deux sœurs fuyant de maison en maison pour échapper à leur agresseur déterminé à les détruire. Face à la menace, chacun d’entre eux se protège comme il l’entend : l’aînée prend le temps de se construire une maison solide quand les deux autres, par naïveté ou par refus de croire au danger, se font surprendre par les attaques dont ils sont victimes. Ici le loup pourrait être n’importe qui, un tueur évadé d’une prison, un agresseur sexuel récidiviste, un maniaque déterminé à faire payer aux enfants le refus amoureux de leur mère… Il pourrait même être tout à la fois, jusqu’à concentrer en lui tous les vices de l’être humain poussés à leur extrême.

© Anne Lemoine – La Raffinerie

En réalité, qu’importent les dangers qu’il représente, l’essentiel étant de créer autour de sa présence une atmosphère écrasante et redoutable. Jouant des lumières de Jason Razoux, des ambiances sonores de Thibault Lamy et des séquences vidéos réalisées par Nicolas Comte, Marion Pellissier met tous les outils possibles au service de son esthétique qui rappelle certains codes documentaires des reconstitutions de faits divers. Suivant cette ligne dramaturgique, la metteuse en scène parvient, entre effets cinématographiques et artisanat du théâtre, à offrir une lecture cruelle et terrible du conte en donnant une réponse implacable à son titre Trois petits cochons, les monstres courent toujours.

Mais là ne s’arrête pas cette création. Dans un récit parallèle qu’elle intrique au premier, Marion Pellissier travaille à une approche en total décalage avec le climat pesant qui accompagne le conte à proprement parler. Pour ce faire, l’artiste fait le choix de la mise en abyme en proposant des scènes quotidiennes d’une compagnie de théâtre. Tensions et tendresses relationnelles, étapes de travail dans le cadre d’une création, séquences d’improvisation… Par cette nouvelle entrée narrative, la metteuse en scène se donne surtout l’occasion d’arpenter une approche plus ludique, a fortiori plus légère, de sa propre dramaturgie.

© Anne Lemoine – La Raffinerie

Ici se dévoilent encore, à la marge, quelques travers de l’être humain, bien que l’arrivée souvent abrupte de ces scènes coupe court à l’intensité dramatique qui s’instaurait jusqu’alors. Alternant la fiction et ces tentatives de réalisme – dont certaines ressortent malgré tout plus théâtrales que le conte lui-même –, Marion Pellissier brouille les frontières de l’un à l’autre, rendant la lecture relativement complexe. S’interrompant mutuellement deux heures durant, les deux écritures finissent par s’entrechoquer, soulevant le doute quant au véritable propos développé dans cette création ; de l’adaptation contemporaine des Trois petits cochons ou d’une compagnie de théâtre face à ses propres difficultés, difficile de savoir ce qui prime.

Quoiqu’il en soit, Marion Pellissier fait de ses Trois petits cochons un espace de démonstrations techniques et artistiques. S’amusant à caricaturer les genres théâtraux et cinématographiques, elle offre à ses interprètes un espace de jeu et d’expérimentation qui tient avant tout du plaisir à être sur scène. Dans cet exercice de styles, la compagnie La Raffinerie semble mettre au plateau son savoir-faire autant que ses fragilités pendant que l’adaptation du conte, toute pertinente qu’elle aurait pu être indépendamment du reste, semble finalement servir de prétexte à cette monstration de palette dramaturgique.


Trois petits cochons, les monstres courent toujours
Création 2024 – Théâtre Joliette avec LE ZEF – scène nationale de Marseille

Crédits

MISE EN SCÈNE Marion Pellissier / AVEC Yasmine Berthoin, Charlotte Daquet, Julien Derivaz, Steven Fafournoux, Morgan Lloyd Sicard & Sabine Moindrot / CRÉATION MUSICALE Thibault Lamy / CRÉATION LUMIÈRE Jason Razoux / CRÉATION VIDÉO Nicolas Comte / SCÉNOGRAPHIE Marion Pellissier / CRÉATION COSTUME Julien Derivaz

Dates
  • 15, 16 et 17 janvier 2025 – Théâtre Jean Vilar de Montpellier
  • 21, 22 et 23 janvier 2025 – SORANO / Toulouse
  • 3 et 4 février 2025 – Théâtre de Châtillon
  • 7, 8, et 9 février 2025 – Centquatre Paris

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse. 06 22 65 94 17 / peter.avondo@snobinart.fr
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