Avant toute chose, revenons sur la genèse de NiDS…
Jean-Michel Caillebotte : Bien sûr. C’est né pendant la période du COVID, nous étions tous reclus chez nous. Je me souviens d’avoir vu un oiseau passer du jardin de mes voisins à mon jardin. Je me dis « Tiens, c’est intéressant, lui n’a pas de frontière, il va de l’avant comme ça et il n’y a pas de barrière ». J’ai vite raccordé une histoire de mon enfance. J’ai grandi dans une ferme et l’hirondelle, cet oiseau bâtisseur, maçon, fabrique son nid tous les ans, il s’installe. J’ai pu raccorder encore d’autres histoires, des rencontres de populations, humaines cette fois-ci. Pas si lointaines. Une rencontre avec une population bulgare aux abords de la Garonne, à Toulouse, qui était en contrebas de ce pont et je ne le savais pas. J’ai très vite vu qu’il y avait une comparaison à faire avec l’idée du nid, c’est-à-dire l’agglomérat de plusieurs matériaux et une architecture liée au nomadisme. Il y a aussi le Vietnam, beaucoup plus lointain, un autre nid, mais flottant. Une population qui dérive sur l’eau, qui commerce du poisson et du bambou. La dernière population était une rencontre à Villeurbanne, des gens du voyage en caravane. Donc j’ai vite cousu une histoire de l’oiseau à ces morceaux d’humanité. C’est une vision du bas vers le haut, une vision très simple. Je n’ai pas fait de thèse sur la migration ou quoi que ce soit. Je tiens absolument à avoir un langage assez simple parce que le public d’une ville, c’est très vaste. Ce sont des enfants, des personnes âgées, des personnes qui sortent de leur travail…
Qu’est-ce qui a déterminé les espaces qui allaient accueillir les installations ?
Marie Antunes : Ça s’est écrit en dialogue avec Jean-Michel. Je suis allée voir NiDS à Aurignac, sous une pluie fine dans ce village pour qui accueillir NiDS faisait de fait événement. À L’Atelline, on a pour géographie la métropole de Montpellier, et j’avais tout de suite envie que ça vienne rencontrer le centre de la ville. En ayant bien conscience que ça ne serait pas un événement grandiloquent, parce que l’œuvre n’est pas du tout écrite sur ces modalités-là. C’est une ode à la fragilité, à la légèreté. Avec Jean-Michel, on a arpenté la ville. On s’est associé à des complices, dont la ville de Montpellier, parce que pour écrire une aventure comme celle-ci à la rencontre de populations, on a véritablement besoin de créer des endroits de complicité. On avait identifié un peu plus de lieux que ceux-ci, et on a pris ce temps qui était important pour permettre à Jean-Michel de « renifler » la ville. Et tout de suite, il m’a dit « Le patrimoine bâti est assez imposant. Tout est derrière les portes ». C’était important pour tous les deux que ce soit dans le cœur de ville, ça a fait consensus entre nous assez rapidement. Je crois que le verbe « se greffer » est arrivé très vite. Dans ma pratique de programmation, je me demande toujours « Comment est-ce qu’on dialogue avec une ville, avec des espaces publics ? ». Là, on s’est très vite dit « Non, on ne va pas hacker la ville avec des formes plus imposantes ». On est beaucoup moins aujourd’hui sur des grandes formes, c’est une autre façon de dialoguer et j’aimais beaucoup cette idée de la greffe. C’est là que je pose un endroit de co-écriture dans l’accueil. Ce qui est important à L’Atelline, c’est que ça ne concerne pas tant des gens qui ont consciemment fait la démarche de devenir spectatrice ou spectateur, mais que ça puisse surprendre chacun dans son quotidien.
La question de l’écriture est intéressante, puisqu’il y a précisément quelque chose à réécrire à chaque installation…
Jean-Michel Caillebotte : Oui, parce que c’est une exposition faite de matériaux, de volumes… Ce sont des choses qui se démontent, qui se remontent, on les déplace. Nous-mêmes, nous sommes en transition migratoire avec mon équipe, mais c’est vrai qu’il y a une écriture particulière, scénographique aussi. Sur les villes, évidemment, on ne s’installe pas à Rennes comme à Montpellier. Il y a une autre histoire qu’il faut en prendre compte parce que chaque lieu est assez prégnant. Il faut se réadapter à ces lieux et surtout les écouter, prendre le temps. Il faut recommencer ce travail artistique qu’on connaît, qui nous met aussi dans une zone un peu fragile, c’est-à-dire de remontrer patte blanche. Il faut défendre bec et ongles son projet. Nous sommes et nous resterons un peu saltimbanques. Cette histoire nous plaît parce qu’on voyage dans plusieurs mondes. On a des mondes érudits, culturels, lettrés qui nous reçoivent, et d’autres beaucoup plus populaires.
Justement, il y a un lien qui se fait nécessairement entre l’œuvre et le public. Comment L’Atelline accompagne ces rencontres ?
Marie Antunes : C’est un travail d’équipe. Il y a tout l’enjeu de l’information, de la communication. C’est en recherche permanente et on manque souvent de temps parce qu’on est une toute petite équipe, aussi géniale soit-elle. Mais pour moi la communication doit faire récit, ce n’est pas un geste uniquement communicationnel. Pour chaque accueil, on repense les conditions de la rencontre. Pour NiDS, il y a tout un travail avec la question de l’habitat, de la précarité d’une vie. Je trouve que la puissance de cette œuvre-là, c’est une ode à la précarité de nos existences. C’est en cela qu’elle parle à tout le monde. On peut utiliser l’adjectif « populaire ». Pour moi, c’est ce qui en fait sa puissance politique, mais là je me place en tant que spectatrice. Et chaque membre de l’équipe est présent, donc on devient tous médiateurs pendant dix jours. On a aussi des visites guidées commentées par Jean-Michel, où il est en proposition de dialogue sur l’écriture de cette œuvre-là. En fait, je crois que le terme « médiation » est très polysémique pour nous, c’est-à-dire qu’on apprend autant que ce qu’on apporte. On voit que ça vient nourrir une réflexion sur l’habitat, sur la façon dont on relationne avec un territoire qu’on habite. C’est vraiment cette posture-là qui est à l’œuvre.
Jean-Michel Caillebotte : Tout à l’heure, j’ai une personne qui avait de la famille à Valence, totalement inondée dans un chaos de boue. Elle me racontait cette histoire qui la touchait et se posait vraiment la question de laisser tomber les habitats en dur, parce que le climat change. Et c’est là où chacun apporte un peu sa brindille au nid. Ce sont ces retours-là qui construisent aussi cette histoire. C’est pour ça qu’en s’inscrivant dans une ville, on échange avec les habitants et ils ont des points de vue tout à fait intéressants. Je suis l’artiste le plus brut possible, justement pour toujours continuer à glaner.
Quand tu présentes NiDS, tu dis ne pas y mettre d’intention politique. Pourtant c’est une lecture qui paraît évidente…
Jean-Michel Caillebotte : C’est une astuce (rire). Je ne veux pas m’afficher tout de suite là-dedans, mais c’est évident. On se bâtit dans une œuvre à travers des imprégnations familiales. Mes grands-parents étaient considérés comme justes, ayant hébergé une famille juive pendant la guerre. Ma mère était maire, elle a accueilli les gens du voyage sur le terrain de foot alors que c’était décrié. Ces histoires nous bercent plus ou moins dans les familles, il y a quelque chose qui reste. Quant à savoir si c’est politique… Évidemment, beaucoup de choses reviennent à la politique, mais ce qui compte, c’est de pouvoir le transmettre d’une manière plus humaniste.