A(M)I, les relations amicales à l’heure de l’IA

A l'occasion du finissage de l'exposition AMIEX à Mécènes du Sud le 14 septembre, Morgane Baffier a présenté sa performance A(M)I. Se présentant comme une conférence, ce moment propose au public de s'interroger sur les relations virtuelles qui s'invitent dans notre intimité.

Thibault Loucheux-Legendre
Thibault Loucheux-Legendre  - Rédacteur en chef / Critique d'art
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L’amitié… Un sujet au moins aussi vaste et riche que l’amour, mais qui a souvent été sclérosé dans des histoires, transformant la complexité de ces relations en lieux communs s’approchant parfois de la caricature. Comme nous l’explique l’exposition AMIEX  : « La fiction écrite, filmée ou dessinée, a enfermé l’amitié dans des mécanismes genrés. Pour les femmes, elle est synonyme de relations toxiques, de commérage, de compétition, de danger. Pour les hommes, le choix est à faire entre la camaraderie potache des sphères de pouvoir ou l’ambiance viriliste de vestiaires sportifs. (…) AMIEX souhaite faire sortir l’amitié de son cadre patriarcal et hétéronormatif et entend en donner une nouvelle vision. »L’exposition qui s’est terminée le 14 septembre proposait une performance autour de l’amitié et de l’intelligence artificielle intitulée A(M)I et réalisé par l’artiste Morgane Baffier. Si d’apparence le format de la conférence choisi par l’artiste peut paraître pompeux, la performance s’est révélée être d’une grande originalité qui m’a donné envie de vous la partager en quelques lignes.

Morgane Baffier est née en 1997. Elle vit et travaille à Paris où elle a été diplômée de l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy. Elle a réalisé plusieurs conférences performées durant lesquelles elle nous interroge sur des sujets politiques ou sociologiques avec poésie.

Avant de commencer sa performance A(M)I, Morgane Baffier sort son téléphone et fait un selfie avec le public en lui disant : « je fais une photo pour ma mère qui pense qu’il n’y a jamais personne qui vient voir mes performances ». Rire dans la salle, le ton est donné. Avant de lancer les hostilités, l’artiste nous immortalise dans le cadre dans son smartphone. Si les gens se sont déplacés pour voir une performance « en vrai », les écrans sont tout de même présents avec ce fameux téléphone, un ordinateur et un rétroprojecteur.

Morgane Baffier va décliner sa performance comme un professeur exprime son cours. Introduction avec définition des termes (« ami », « AI »…), explications, hypothèses et ouverture. Si le sujet peut paraître grave, disons au moins préoccupant, Morgane Baffier exprime son analyse avec un détachement certain, mêlant analyses et statistiques aux questions existentielles, créant ainsi un décalage qui amuse le public à de nombreuses reprises. L’humour est ici un ingrédient indispensable à la réussite de ce projet qui trouve parfaitement l’équilibre entre le ludique, le théorique et l’artistique. Certains moments de vulgarisation n’en sont pas moins passionnants, notamment l’analyse sociologique des différents âges (la génération Y frime sur les réseaux sociaux sur une plage de sable fin et une eau turquoise là où la génération Z invente des jeux à domicile sur TikTok…). Morgane Baffier nous questionne aussi sur ces amis virtuels, inventés de toutes pièces par l’AI, dont la seule différence avec nos amis physiques serait leur immortalité. 

Les grandes questions qui reviennent sans cesse lorsque l’AI est abordée sont : les machines peuvent-elles prendre le dessus sur nous ? A quel point les machines peuvent-elles nous manipuler ? On pourrait se demander aussi où est l’artistique dans cette performance ? Elle réside principalement dans la présence de l’artiste. Morgane Baffier emprunte toutes les caractéristiques d’une conférencière, jusqu’à son autorité. Nous sommes tous à la regarder, à attendre ses prochaines paroles grâce à la posture qu’elle adopte. On la regarde comme on regarde un écran. Elle joue avec nous, nous emmène dans une direction en approfondissant un sujet, avant d’en survoler un avec dérision… Elle sort des statistiques, des citations à partir desquelles elle propose des théories. On se sent concerné, on veut l’écouter, on veut la croire, on veut rire… Finalement, on se demande si cet exercice qui nous séduit ouvre les portes du libre arbitre ou s’il nous emmène doucement sur le chemin la manipulation.

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Par Thibault Loucheux-Legendre Rédacteur en chef / Critique d'art
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Après avoir étudié l'histoire et le cinéma, Thibault Loucheux-Legendre a travaillé au sein de différentes rédactions avant de lancer Snobinart et de se spécialiser dans la critique d'art contemporain. Il est également l'auteur de plusieurs romans. 06 71 06 16 43 / thibault.loucheux@snobinart.fr
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