« Hécube, pas Hécube » ou la nécessité de faire théâtre

Pour sa deuxième édition à la tête du Festival d’Avignon, Tiago Rodrigues s’offre la carrière de Boulbon comme terrain de jeu pour sa pièce Hécube, pas Hécube. Aux côtés de la Comédie-Française, il s’aventure sur les traces de l’ancienne reine de Troie, dont le récit vient brillamment se mêler aux histoires d’une autre époque.

Peter Avondo
Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture Créé au Festival d'Avignon
6 mn de lecture

La tragédie ne s’impose pas toujours là où elle est attendue. Comme le théâtre fait irruption dans la carrière de Boulbon, le drame que les Comédiens-Français pensaient jouer en préparant la pièce Hécube d’Euripide finira par éclater hors jeu. Il prendra un autre visage, dans une forme qui joue habilement avec les frontières entre le récit et la réalité. Pour sa première création en tant que directeur du Festival d’Avignon, Tiago Rodrigues compose une pièce au carrefour de tout. Dans Hécube, pas Hécube, la vie des interprètes se mêle à celle de leurs personnages comme pour faire émerger un théâtre qui se dissimulerait derrière le quotidien.

Pourtant Hécube n’est ni un rôle tragique emblématique, ni un nom incontournable de la mythologie. Hécube, en réalité, n’est qu’un personnage secondaire, de ceux dont on oublie facilement l’existence et que les récits omettent parfois de mentionner. Hécube, c’est cette comédienne qui voudrait s’effacer derrière son rôle en tentant de reléguer au dernier plan sa vie personnelle pour qu’elle ne vienne pas empêcher le théâtre d’advenir. Mais cette artiste, Nadia, puissamment portée par l’éblouissante Elsa Lepoivre, ne pensait pas que son quotidien en déciderait autrement, quitte à venir perturber la pratique de son métier. Liant malgré elle son destin à celui d’Hécube, Nadia avance en funambule entre les planches et le tribunal, cherchant dans la tragédie le souffle nécessaire pour affronter la violence du réel.

Hécube, pas Hécube © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Car quand elle ne répète pas son texte, Nadia mène une autre bataille sur une autre scène. Engagée dans une procédure visant à déterminer un coupable pour les maltraitances subies par son fils autiste dans une maison d’accueil spécialisée, elle est contrainte de mettre à l’épreuve son instinct protecteur et combatif contre les adversités. Si Hécube, en son temps, dut porter haut la voix de son fils pour le défendre devant Agamemnon, c’est contre un système tout entier que Nadia se retrouve projetée sans aucune certitude de l’issue qu’elle y trouvera.

Ce n’est pas nouveau, Tiago Rodrigues aime brouiller les frontières autant qu’il se plaît à jouer avec les mots. Ainsi s’amuse-t-il, dans Hécube, pas Hécube, à passer de la vie au théâtre, du rire à l’émotion, en modulant à peine ses effets scéniques pour que le changement soit perceptible, et à multiplier les ponts qui se font entre la fiction et la réalité. Sans oublier l’espace de caractère dans lequel il évolue, le metteur en scène remise à l’état de quasi-détails les lumières de Rui Monteiro et la scénographie de Fernando Ribeiro qui, toutes pertinentes soient-elles – et elles le sont –, se révèlent surtout en réponse à l’interprétation juste, nuancée et équilibrée des comédiens du Français.

La nouvelle création de Tiago Rodrigues est foisonnante de propos, de références et de sincérité. Les yeux dans les yeux, maintenant une proximité poignante entre les interprètes et le public en dépit de l’immensité du lieu, il développe comme à son habitude une dramaturgie qui s’installe dans la douceur et l’intensité. Dans Hécube, pas Hécube, il n’est aucunement besoin de taper du poing sur la table pour invoquer le théâtre. Celui-ci advient quoiqu’il arrive, résultant de la collision entre sa propre nécessité, la musique d’Otis Redding et la tragédie grecque d’Euripide. L’actuel directeur du Festival d’Avignon signe une pièce drôle, sensible et authentique, l’une des belles réussites de cette 78e édition.


Hécube, pas Hécube
Création 2024 – Festival d’Avignon

Crédits

Avec les interprètes de la Comédie-Française : Éric Génovèse, Denis Podalydès, Elsa Lepoivre, Loïc Corbery, Gaël Kamilindi, Élissa Alloula, Séphora Pondi / Texte et mise en scène Tiago Rodrigues  / Traduction Thomas Resendes (français) / Scénographie Fernando Ribeiro / Costumes José António Tenente / Lumière Rui Monteiro / Musique et son Pedro Costa  / Collaboration artistique Sophie Bricaire / Traduction pour le surtitrage Panthea

Dates
  • 26 et 27 juillet 2024 : Festival d’Athènes-Épidaure (Grèce)
  • 11 et 12 septembre 2024 : Divadlo International Theatre Festival (Pilsen, République Tchèque)
  • 20 et 21 septembre 2024 : Slovenské národné divadlo (Bratislava, Slovaquie)
  • 26 et 27 septembre 2024 : Bitef Beogradski Internacionalni Teatarski Festival (Belgrade, Serbie)
  • 7 et 8 octobre 2024 : Cankarjev dom (Ljubljana, Slovénie)
  • 2 et 3 novembre 2024 : Istanbul theater Festival- İstanbul Kültür Sanat Vakfı (Turquie)
  • Du 15 au 23 novembre 2024 : ThéâtredelaCité Centre dramatique national Toulouse Occitanie
  • Du 28 novembre au 1er décembre 2024 : Comédie de Genève (Suisse)
  • 6 et 7 décembre 2024 : anthéa Antipolis théâtre d’Antibes
  • Du 3 janvier au 5 janvier 2025 : Teatros del Canal (Madrid, Espagne)
  • Du 9 janvier au 11 janvier 2025 : Centro Cultural de Belém (Lisbonne, Portugal)
  • 17 et 18 janvier 2025 : deSingel (Anvers, Belgique)
  • Du 23 au 25 janvier 2025 : Les Théâtres de la Ville de Luxembourg
  • 29 et 30 janvier 2025 : La Coursive Scène nationale de La Rochelle
  • Du 28 mai au 25 juillet 2025 : Salle Richelieu, Comédie-Française (Paris)
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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse. 06 22 65 94 17 / peter.avondo@snobinart.fr
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