Si l’on écoutait le propos développé par Valérian Guillaume dans Richard dans les étoiles, de l’ordre établi des frites naîtrait tout le chaos du monde, ou presque. L’affirmation peut sembler incongrue, presque autant que l’objet théâtral qui nous est présenté, mais la métaphore de la fable n’a rien de si insensé, au regard de la réflexion sociale et sociétale qu’elle développe.
Après le décès de son père, et alors que tous les commerces de proximité ont fermé les uns après les autres, Loïc se retrouve tenu, par contrat héréditaire tacite, de reprendre la friterie familiale. Engoncé dans sa minuscule baraque en tôle et écrasé par la pression de ses proches et clients, il devient malgré lui l’ultime rempart d’un monde que l’on refuse de voir disparaître. Ainsi maintenu en dépit de lui-même à une place qu’il n’a jamais véritablement désirée, il s’abandonne sans conscience vers l’automatisation de sa propre personne, de son propre travail, de sa propre vie.
Autour de lui, de cette friterie, déjà plus rien n’a de sens. Tête dans le guidon, trop préoccupé à répondre aux attentes des autres sans faire cas de son propre ressenti, Loïc ne se rend même pas compte que son environnement a perdu ses repères. Comme posé là au milieu de nulle part, son commerce se fond dans un décor étrange, sorte de cabaret de curiosités, lieu de culte ou de shoot pour accros à la frite, trop aveuglés pour voir toute la détresse que renferment ces quatre plaques de tôle.
Mais avec l’heure de la fermeture vient aussi celle de la liberté, celle de croire que l’on peut être quelqu’un d’autre. Usant de son écran à LED qui nous intime de garder la frite, Loïc se rêve Richard, poète qui par les mots trouve une issue à son quotidien. Il hésite et tape sur son clavier les premiers vers qui lui traversent l’esprit, puis s’affirme nuit après nuit vers cette aspiration salvatrice, jusqu’à se laisser complètement happer par elle. Alors passé dans une autre dimension, il abandonne derrière lui ses ouailles désorientées.
Derrière les nombreux registres arpentés qui s’entremêlent de manière étonnante, Richard dans les étoiles sert un propos aux multiples niveaux de lecture. De la critique du monde du travail – fruit d’une longue recherche à propos du chômage – à la pression sociale qui nous détermine malgré nous, en passant par les phénomènes de surconsommation ou les aspirations artistiques auxquelles il n’est pas toujours évident de donner vie, Valérian Guillaume propose une forme complexe qui, sous ses airs de légèreté parfois enfantine, révèle une écriture pour le moins exigeante.
Car non content de s’amuser à décliner à l’envi le champ lexical de la frite dans les dialogues de ses personnages – donnant par ailleurs lieu à quelques facilités assumées –, l’auteur et metteur en scène laisse aussi place à quelques tirades dont la précision et l’interprétation mettent entre parenthèses la fable au profit d’instants particulièrement prenants de théâtralité. Il conçoit ainsi un texte tout en nuances de rythme et de langage qui, bien que parfois déconcertant, témoigne d’un travail incontestable de recherche et d’inventivité.
Richard dans les étoiles est un objet théâtral qu’il convient assez peu de tenter de définir par des termes traditionnels. Pour autant, il prend dans sa complexité une dimension universelle qui trouve écho dans ses références ou ses images, défendant par là-même un parti pris affirmé, quel que soit notre point d’entrée dans le propos qu’il sert… somme toute un défi de taille pour une histoire de frites !