Ils sont presque réduits au silence depuis 2011. Cette année-là, on décernait encore des statuettes aux scénographes, aux créateurs costumes et lumières. Même les créateurs sonores ont eu l’insigne honneur de se voir remettre un Molière en 2005. Jean-Jacques Lemêtre en restera l’unique récipiendaire.
Mais les Molières ont vécu, entre 2011 et 2014, une période dont les traces ne parviennent décidément pas à s’estomper. Lorsque reprend la diffusion sur France Télévisions de ce qui doit être la plus grande soirée du théâtre français, la cérémonie du rassemblement ressemble davantage à celle d’un sillon que l’on creuse irréversiblement dans le spectacle vivant. On genre les révélations, on remet deux fois plus de récompenses aux interprètes et aux metteurs en scène pour faire la part des choses entre théâtre privé et public, et on relègue au dernier rang les artistes qu’on ne voit pas sur les planches. Dans l’équation, seuls les auteurs s’en tirent bien dans leur catégorie qui semble vouloir résister aux différentes refontes.
Les scénographes, costumiers, créateurs sonores et lumières, artistes du maquillage et de la coiffure, décorateurs, adaptateurs et tous les autres acteurs qu’on ne voit pas sur les planches, en revanche, sont bien mal lotis. Elles sont pourtant nombreuses, les « petites mains » du théâtre, à pouvoir prétendre à se saisir de la statuette dorée à l’effigie de Molière. Mais tant de mains pour un seul trophée, voilà qui commence à ressembler à un mauvais sketch.
Depuis 2011, tous ces métiers sont contraints de se partager une unique récompense sur les presque vingt qui sont distribuées chaque année. Non seulement le Molière de la création visuelle ressort comme un fourre-tout de bonne conscience, mais il crée aussi une concurrence par nature déséquilibrée. Comment mettre sur un même pied d’égalité l’intégralité de ces éléments ? Autant comparer la Comédie-Française au fournisseur d’énergie qui lui permet d’éclairer son plateau.
En janvier dernier, l’Académie des Molières se réunissait pour préparer sa remise des prix annuelle. À cette occasion, l’Union des Scénographes (UDS), l’Union des Créateurs Lumières (UCL) et un collectif de compositeurs et créateurs sonores ont tenté d’interpeller le Conseil d’Administration. Leur requête était simple : valoriser leurs disciplines en les distinguant lors de la cérémonie par le biais de plusieurs catégories (scénographie, création costumes, création lumières, création musicale et sonore). La réponse de l’Académie ? Qu’ils créent leur propre cérémonie, bien sûr !
Les interprètes sur scène et les autres en coulisses, à leur juste place… Voilà qui, chez Snobinart, a de quoi nous titiller le clavier. Lorsque nous rédigeons un retour sur un spectacle, il nous est impossible de passer sous silence le travail de ces artistes qu’on ne voit pas. Plus d’une fois, la création lumière ou la scénographie d’un spectacle nous a fasciné davantage que ce qui se déroulait au plateau. Tout n’est pas toujours notable, sur scène comme dans l’ombre, mais ce qui l’est doit évidemment être exposé, partagé, exprimé.
Aux rares personnes qui pensent encore que le théâtre n’est qu’affaire de feux de la rampe, nous suggérons d’assister, si elles en trouvent, à une représentation exempte de tout costume, décor, son et sens. Alors nous verrons si les vingt statuettes ont toujours lieu d’exister de cette manière. En attendant, le théâtre auquel nous assistons chaque jour et que nous partageons avec les artistes et le public, lui, ne s’affranchit de rien, et c’est tant mieux…