Un piano de concert sort de la pénombre à l’avant-scène. Derrière lui, deux grandes boîtes, comme des cages à taille humaine, obstruent le lointain, où sont disposées en formation d’orchestre des chaises pourtant vides. Des cintres pendent des ballons multicolores, devant un écran encore vierge qui accueillera bientôt des projections vidéo. Mais pour l’heure, ce sont quatre individus aux masques neutres qui ont la curiosité de venir arpenter le plateau et découvrir le public. Ils laissent rapidement la place à des visages plus âgés, usés par le temps. Chacun armé de son instrument de prédilection, les musiciens jouent quelques accords et leur musique se rejoint, se complète.
On ne comprend pas encore vraiment où l’on va. Seuls les ballons de baudruche, symboles de joie et d’une certaine insouciance, éclatent les uns après les autres et retombent en éclats poétiques sur ce vieux quatuor en nous évoquant une jeunesse évaporée. Puis vient justement le temps de cette jeunesse. Sur l’écran qui nous invite à une forme de voyeurisme, deux garçons discutent entre eux, sans autre forme de spectacle, comme ils le feraient dans la vraie vie. L’écran se relève et la conversation se poursuit comme à huis clos dans ces cages aux parois transparentes, où ils sont bientôt rejoints par deux autres camarades.
Les sujets s’enchaînent et se mêlent les uns aux autres avec une justesse particulièrement touchante. Les paroles de ces ados reflètent leur réalité, celle d’une jeunesse dont les aspirations entrent parfois en conflit entre elles. La musique est pour eux une vie entière. Les références convoquées en la matière en sont la preuve. Mais la pratique requiert travail, assiduité et concentration, quand l’âge, lui, a d’autres préoccupations comme l’amour, la sexualité, la fête, l’amitié, la jalousie ou la colère.
Aria da capo se situe précisément au carrefour de ces deux grands axes indissociables de leurs vies. Les échanges sont d’un naturel épatant et témoignent d’un beau travail d’authenticité. Les mots dits sur scène sont ceux des quatre interprètes. Ils sont aussi tendres et doux qu’ils peuvent être inconsciemment violents.
La vidéo en direct qui les relaie presque du début à la fin était évidemment le médium à privilégier pour ces ados dont c’est le quotidien. Mais le format nous perd parfois, il arrive qu’on oublie la scène du vivant au profit de la projection. On nous donne ainsi à voir un objet étonnant, entre musique, cinéma et théâtre, comme une pièce contemplative à laquelle nous n’étions peut-être pas conviés.
Ce qui reste gravé, en revanche, c’est cette vision simultanée de deux âges campés par les mêmes interprètes. Figures de mentors d’aujourd’hui ou versions futures de chacun d’eux, ces vieux musiciens planent sur la pièce comme une ombre souvent menaçante qui rappelle que cette jeunesse est passagère. Reste aussi un très beau tableau final, qui met en lumière les talents de ces jeunes musiciens sur un plateau recouvert d’éclats d’une époque déjà passée.
Séverine Chavrier signe ici un théâtre qui plaît aux oreilles. Aria da capo est porté par quatre interprètes attachants et talentueux qui se dévoilent dans cette pièce avec une forme de pudeur candide qui leur fait honneur. Belle carrière à eux, où qu’elle les mène…
Aria da Capo
Crédits
MISE EN SCENE SEVERINE CHAVRIER / INTERPRETES GUILAIN DESENCLOS, VICTOR GADIN, ADELE JOULIN, ARESKI MOREIRA / TEXTE GUILAIN DESENCLOS, ADELE JOULIN, ARESKI MOREIRA / CREATION VIDEO MARTIN MALLON, QUENTIN VIGIER / CREATION SON OLIVIER THILLOU, SEVERINE CHAVRIER / CREATION LUMIERES ET REGIE GENERALE JEAN HULEU / SCENOGRAPHIE LOUISE SARI / COSTUMES LAURE MAHEO / ARRANGEMENTS ROMAN LEMBERG / CONSTRUCTION DU DECOR JULIEN FLEUREAU / REMERCIEMENTS NAIMA DELMOND, CLAIRE PIGEOT, FLORIAN SATCHE, ALESIA VASSEUR, CLAUDIE LACOFFRETTE, CLAIRE ROYGNAN